Ref. :  000024845
Date :  2006-09-29
langue :  Français
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Intervention aux Rencontres interrégionales de Lyon du Délégué au développement et aux affaires internationales du Ministère de la culture et de la communication

Source :  Benoît Paumier


Le mot de dynamique, choisi par les organisateurs pour ce colloque, me semble exactement décrire le processus qui caractérise l'évolution du concept de diversité culturelle. Dans cette intervention, je voudrais insister sur quelques points :

- en premier lieu, le fait que, si, pour nous en France, cette nécessité d'une affirmation de la diversité culturelle dans le droit international réunit un large consensus, le succès incontesté remporté à l'UNESCO l'année dernière en ralliant la quasi-totalité des Etats du globe, n'était nullement évident ; aussi un bref retour en arrière me semble utile pour montrer comment et pourquoi cette dynamique a pu fonctionner, et les enseignements que l'on peut en tirer pour l'avenir ;

- en deuxième lieu, c'est le rôle majeur joué par l'Union européenne dans cette dynamique ; sans la solidarité européenne, nous ne serions probablement pas arrivés à ce résultat ; et en retour, l'adoption de cette convention a d'ores et déjà des conséquences dans la manière même dont l'Union européenne est conduite à prendre des décisions qui concernent la culture, alors même que le processus de ratification n'est pas achevé ;

- enfin troisième point, loin de s'éteindre, cette dynamique est porteuse de beaucoup de perspectives, qui concernent tant les processus de négociations et de coopération internationales dans les domaines de la culture et de l’audiovisuel, que les politiques culturelles internes. Car l'une des caractéristiques majeures de cette dynamique de la diversité culturelle est bien de poser la question des politiques culturelles, tant dans ses dimensions locales et nationales, que dans sa dimension internationale.


I - Dans l’historique de ce processus, je distinguerais deux caractéristiques :

- d'une part l'élargissement d’un sujet essentiellement centré sur les négociations commerciales sur le cinéma, à l’ensemble de la création culturelle, et à l'affirmation des identités culturelles, notamment de la part des pays du Sud. Autrement dit, on est passé de l'exception culturelle à la diversité culturelle, qui englobe la première, en précisant sa finalité et lui donnant une ampleur nouvelle ;

- la deuxième caractéristique de cette dynamique, c'est le sentiment que, tout en ayant été acteur de ce processus, d'avoir été aussi porté par une vague puissante.

Il faut bien considérer que, lorsque, en 2002, au sommet des Nations Unies sur le développement durable de Johannesburg, la France est pratiquement le seul Gouvernement, avec celui du Québec, pour demander une convention internationale, ayant force de droit, pour faire contrepoids à la pression exercée sur la culture par les accords de commerce international et l’OMC, et pour demander que cette convention soit élaborée dans l'enceinte de l’UNESCO. Même d'autres pays favorables à la diversité culturelle, doutent de la capacité de l’UNESCO à pouvoir mener un tel processus, et l’UNESCO elle-même , à l’époque, avait aussi d'autres priorités. A chaque fois, aussi bien avant la 32e session de la Conférence générale de l’UNESCO d'octobre 2003, qui décide d’engager la négociation d’une convention internationale sur la diversité culturelle, qu’avant les multiples réunions intermédiaires jusqu'à la session d'octobre 2005, les résultats ont dépassé les espérances.

Cette dynamique me semble avoir eu plusieurs moteurs :

- en premier, la mobilisation des organisations de la société civile, et en particulier, l'action et le partenariat avec les organisations professionnelles de la culture, regroupées en France dans la “ coalition française pour la diversité culturelle ”, qui rassemble maintenant 53 organisations, aussi bien sociétés de droit d’auteur - qu’organisations syndicales ou professionnelles de tous les secteurs de la culture des artistes plasticiens jusqu’aux éditeurs, aux réalisateurs de films ou aux auteurs multimédia) ; ce modèle a essaimé dans maintenant 36 pays. Si en France, un large consensus existe sur la question, en revanche, ces professionnels ont joué dans beaucoup de pays, un rôle précieux dans la sensibilisation de leurs gouvernements, très complémentaire avec l’action du gouvernement français.

- en deuxième lieu, l'émergence de ministères de la culture dans de nombreux pays, la solidarité interministérielle forte en France — Culture / Affaires étrangères / Commerce extérieur — faisant réellement figure d'exception mondiale. Le cas de figure le plus général est le suivant : les ministères de la culture sont favorables, les ministères du commerce extérieur sont opposés, au nom d’intérêts économiques supérieurs, et les ministères des affaires étrangères arbitrent ; l'émergence des ministères de la culture a pu prendre appui dans la constitution de réseaux tels que le RIPC, ou l'ASEM, la Francophonie, l’Hispanophonie, la Lusophonie, et bien sûr les réunions des ministres de la culture européens, afin de gagner du poids au sein de leurs propres gouvernements et faire évoluer les positions de leurs propres pays ;

Donc deux piliers : société civile – ministères de la culture. J'ajouterais, que au vu des travaux de votre colloque, un troisième pilier fondé sur l'action des régions se dessine, notamment en Europe, susceptible d'apporter une nouvelle dimension à la cause de la diversité culturelle, pour compléter cette action « para-diplomatique » à laquelle Louise Beaudoin faisait référence hier.

- enfin, dernier moteur de cette dynamique, la priorité donnée à la définition d’une position européenne commune et le rôle décisif de l'Union européenne, sur lequel je voudrais insister tout particulièrement ; c’est la première fois que l’Union européenne a été autorisée à intervenir, en tant que telle et au nom des pays membres, dans l’histoire de l’UNESCO. En outre, il a été obtenu, que ce soit le Commissaire en charge de la Culture, qui ait la responsabilité du suivi de ces négociations au nom de la Commission, plutôt que le Commissaire en charge du Commerce extérieur. L'Europe a parlé à 25 d’une seule voix en faveur de la diversité culturelle à la suite de l' accord unanime intervenu finalement lors du conseil des ministres de la culture de novembre 2004.
Alors qu'on met souvent en exergue les désaccords au sein de l'Union européenne, le consensus et la solidarité affichés pendant toute la négociation ont été exemplaires, y compris au moment de la session où la convention a été adopté, alors que l'Europe parlait par la voix de sa présidence britannique. Ce processus montre, s'il en est besoin, qu'il existe bien des valeurs culturelles communes partagées par l'ensemble des nations européennes, et que l'Europe, quand elle est unie, a encore un message à porter au monde.

Cette démarche et l'adoption de la convention produisent déjà des conséquences concrètes sur certaines décisions politiques communautaires, qui touchent au domaine de la culture. En particulier, la récente décision de la Commission européenne qui reconnaît la légalité de notre système d’aides nationales en matière de cinéma, au regard notamment des règles de la concurrence, montre la prise en compte sur le plan européen des dispositions et de la dynamique de la Convention. Cette dernière sert également de garde-fou dans le contexte de la renégociation de la directive « télévision sans frontières » et dans la perspective d’établir un nouveau cadre réglementaire général pour l’exercice des activités de radiodiffusion télévisuelle dans l’Union Européenne ou encore la prise en compte de la culture dans les fonds structurels comme l’a rappelé hier la Commissaire Danuta HUBNER.
Ce travail de communication est loin d'être achevé, car si le chiffre de 30 Etats a été fixé pour que la convention ait une force juridique, elle n'aura de force réelle que si un nombre d'Etats beaucoup plus grands sont en mesure de la ratifier.

La France a pour sa part actuellement terminé sa procédure interne de ratification. Le projet de loi autorisant l’adhésion à la convention a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée Nationale le 8 juin, par le Sénat le 27 juin 2006.

Il est essentiel de compter parmi les trente premiers Etats à déposer les instruments de ratification afin de participer au comité intergouvernemental qui sera mis en place lors de la première conférence des Etats parties à la convention et qui décidera des orientations et mesures à prendre pour la mise en œuvre de la convention.
Mais pour les Etats membres de l'Union européenne, la contrepartie, en quelque sorte, de l'entrée en scène de la Commission européenne, est que la convention, doit faire en principe l'objet d'une ratification conjointe et simultanée par la Communauté et une partie de ses Etats membres. Le Président de la Commission européenne M. Barroso a indiqué, lors du sommet de Bucarest qui se tient en ce moment, que la Communauté européenne et les Etats membres qui seront prêts (donc sans attendre que tous les Etats membres aient terminé leurs procédures internes) déposeront leurs instruments de ratification auprès de l’UNESCO d’ici la fin de l’année, ou plus tôt si le seuil des trente dépôts, déclenchant l’entrée en vigueur de la Convention, était approché.


II - La dynamique propre initiée par la convention aura des retombées multiples

1) la finalité première demeure : légitimer et renforcer les politiques culturelles spécifiques des Etats. En reconnaissant la spécificité des biens et services culturels et audiovisuels dans les négociations bilatérales et multilatérales.
Ainsi, la Convention en se posant au même niveau que les autres traités internationaux (notamment ceux relatifs à l’OMC) dans la hiérarchie des normes, constituera une véritable clause de sauvegarde face aux dispositions de l’OMC qui pourraient porter atteinte aux biens et services culturels. Elle permettra ainsi de développer une jurisprudence s’appuyant sur des considérations culturelles et pas seulement commerciales.

2) en deuxième lieu, cette convention est devenue aussi celle des pays du Sud, qui se sont massivement mobilisés en sa faveur. Elle devient véritablement le texte fondateur pour préserver et affirmer les identités culturelles de tous les pays.
Les conséquences en sont concrètes : elle donne une légitimité et un nouvel élan à toutes les formes de coopération nord-sud plus structurantes et fondées sur la réciprocité dans les échanges, qui se sont développées depuis plusieurs années. La convention donne notamment une assise aux coopérations centrées sur les métiers de la culture, sur la constitution de filières professionnelles et aux revendications des créateurs de ces pays de bénéficier d'une juste rétribution pour leur travail et pour leurs œuvres. La coopération décentralisée et surtout interrégionale, fondée sur le dialogue interculturel et l'esprit de réciprocité y trouve là une légitimité nouvelle.

3) mais, et c'est la troisième perspective ouverte par la convention, dans un monde de plus en plus globalisé, où les frontières existent de moins en moins dans la diffusion des idées, des courants artistiques et des cultures, ce principe de diversité culturelle n'est pas destiné à se limiter uniquement à l'organisation des relations culturelles et audiovisuelles entre les Etats, mais nous interroge aussi sur la mise en œuvre des politiques culturelles au sein même de nos sociétés, aux niveaux locaux, régionaux et nationaux, ou supranationaux.

Au niveau européen, l’année 2008 sera l’Année européenne du dialogue interculturel. Cette année sera placée sous le signe de la valorisation du fait multiculturel en Europe avec un accent marqué sur le caractère positif des apports de l’immigration. Il s’agira d’impliquer la diversité culturelle dans les processus de création et de donner des moyens d’expression à ceux qui en sont dépourvus et d'établir un lien entre les systèmes d'interventions de l'Union et la prise en compte de cette diversité.

Sur le plan national, l’ouverture de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration en 2007 à Paris, au Palais de la Porte Dorée, permettra de rendre visible et accessible à l’ensemble de la population française la richesse des apports des vagues d’immigration successives à la culture nationale. Mais la Cité n'a pas vocation à être une institution exclusivement parisienne ; elle n'a de sens qu'insérée dans un réseau d'institutions, d'associations et d'initiatives, bien antérieures. Je veux souligner à cet égard l’engagement très marqué dans la région Rhône-Alpes pour le dialogue interculturel, et je pense notamment aux différentes éditions de TRACES, le forum régional des mémoires d'immigrés, qui permettent de valoriser les apports des immigrations au patrimoine commun et témoignent des parcours migratoires, ou encore au premier forum international des caravanes francophones qui aura lieu ici à Lyon dans quelques jours.

4) quatrième perspective : l'éducation artistique et culturelle comme condition même de la diversité culturelle. En clair, on pourrait disposer de tous les meilleurs systèmes d'aides possibles au cinéma, cela ne serait pas d’une grande utilité si les nouvelles générations ne regardent que des films issus des mêmes grands studios de cinéma.

L’éducation artistique et culturelle est désormais inscrite dans le « Socle Commun des connaissances » (décret du 11 juillet 2006), pris en application de la Loi d'orientation sur l'avenir de l'école, qui intègre l'objectif « d'apprendre à distinguer les produits de consommation courante des œuvres d'art », et de faire face à ce que Jean Pierre Saez a appelé « l'effet de sidération face aux industries culturelles ». Il conviendra de préciser, à l'avenir la nature de ces repères culturels communs.

Parce que, dans ce domaine aussi, la dimension européenne est importante, et peut nous aider à dépasser les clivages internes, le ministère de la culture et de la communication organise avec le soutien du ministère de l'éducation nationale en janvier 2007 (du 10 au 12 janvier) un symposium de recherche sur l’évaluation des effets de l’éducation artistique et culturelle. Une cinquantaine de chercheurs européens et internationaux seront réunis au Centre Pompidou pour confronter leurs travaux et procéder à un état des lieux des résultats obtenus et des recherches en cours.

5) enfin, et je terminerai par là, la diversité culturelle appliquée aux territoires, c'est-à-dire la mise en valeur de ce qui fait leur caractère propre, est aussi l'un des facteurs de l'attractivité, elle constitue par là même un atout majeur dans la compétition entre les territoires pour attirer investissements, matière grise, et développer le tourisme culturel.

Voilà des éléments qui montrent à l'évidence que cette convention, qu'il s’agit maintenant encore de faire massivement ratifier, est un nouveau point de départ, et que ses retombées concernent l'ensemble des domaines de la culture.
L'extrême diversité des interventions dans ce colloque démontre l’ampleur du travail à accomplir. Que les organisateurs de ce colloque soient remerciés de l'avoir suscité.


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