Comme vous l'aurez sans doute remarqué, cela fait bien longtemps que j'ai quitté les bancs de l'école. Cependant, je n'ai pas tout oublié de la mythologie grecque – il faut dire que c'était un sujet très excitant pour une génération qui a grandi sans James Bond ni Indiana Jones. Et c'est en étudiant la mythologie grecque que j'ai entendu parler pour la première fois de la mer Adriatique. Si ma mémoire est bonne, ce n'est pas très loin du lieu où nous nous trouvons aujourd'hui que Jason et ses Argonautes atteignirent la grève et mirent les voiles vers la Grèce, poursuivis par des Colchidiens en furie, déterminés à récupérer non seulement la Toison d'or mais aussi la fille de leur roi, Médée.
D'après mes collègues qui ont bien écouté en cours d'histoire, le peuple des Colchidiens vivait sur la côte de la mer Noire, là où se trouve aujourd'hui la Géorgie. Le fait que la légende de la Toison d'or le trésor mythique convoité par Jason et les Argonautes relie la mer Adriatique et la mer Noire, c’est-à-dire les deux parties de notre continent qui vont devenir des eurorégions à l'initiative du Conseil de l'Europe, et plus précisément de notre Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, est une coïncidence frappante.
La mer Méditerranée a toujours connu un brassage de cultures, et son bras le plus septentrional, la mer Adriatique, ne fait pas exception. C'est là que, géographiquement et culturellement, le sud rencontre le nord, l'est rencontre l'ouest. Cette région au riche patrimoine historique, culturel et naturel, abrite bien entendu la prodigieuse Cité des Doges, mais aussi la beauté mélancolique de l'Istrie, le chapelet de perles de l'archipel des Kornati, les anciennes murailles de Dubrovnik, les vues majestueuses de la baie de Kotor et la nature vierge des rivages proches de Vlora et de Saranda, autant de sites que mon épouse et moi-même avons eu le plaisir de visiter lors de nos vacances dans cette région.
La mer Adriatique, enserrée entre les péninsules des Apennins et des Balkans, est aussi une région riche d'histoire, dans certains cas peut-être même trop riche. Dans le passé, et encore tout récemment aucun d'entre nous n'a oublié ces tristes événements cette partie de l'Europe a été le théâtre de violents conflits qui ont causé d’immenses souffrances et d’innombrables destructions. L'histoire n'est pas un maître indulgent : quand nous n'écoutons pas ses leçons, elle revient chercher vengeance. Mais nous pouvons tirer les enseignements de notre passé pour créer, ensemble, un avenir meilleur, plus sûr et plus prospère.
C'est pourquoi le Conseil de l'Europe attache tant d'importance à la reconnaissance des eurorégions comme celle que nous lançons aujourd'hui, qui rassemble des pays unis par des liens historiques et un patrimoine culturel commun : l'Italie, la Slovénie, la Croatie, la Serbie-Monténégro, la Bosnie-Herzégovine, l'Albanie et la Grèce voisine. Depuis quelques années, l'idée lancée à l'origine par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe et par les régions d'Istrie, en Croatie, et du Molise, en Italie de créer une Eurorégion adriatique a recueilli un soutien croissant de la part de la communauté internationale.
Cette nouvelle initiative n'est ni une salle d'attente ni un substitut de l'adhésion à l'Union européenne, objectif de tous les pays participants qui ne sont pas encore membres des 25. C'est un projet qui a de l’intérêt en soi en quelque sorte une Toison d'or pour le XXIe siècle et vise à établir une coopération régionale renforcée pour protéger les ressources naturelles, améliorer la cohésion sociale par le biais de projets conjoints dans les domaines de l'agriculture, de la pêche, du tourisme et du transport, et offrir une plate-forme de coopération culturelle et d'échange. Si elle parvient à concrétiser ces ambitieux objectifs, l'Eurorégion adriatique contribuera nécessairement au démantèlement des clivages existant en Europe.
Derrière notre projet de réseau d'eurorégions, il y a une autre ambition majeure. Au Conseil de l'Europe, nous sommes déterminés à rapprocher de nos concitoyens les questions de coopération en Europe. A cet effet, il importe en particulier de trouver un juste équilibre entre les autorités nationales et locales dans le cadre de cette coopération. Nous partons du principe qu’il ne peut y avoir de bonne gouvernance sans contribution directe et réelle des pouvoirs locaux et régionaux. Nous sommes aussi conscients que c'est à ce niveau que les résultats de notre action en faveur de la qualité de vie des Européens ont le plus de chances d'être constatés, acceptés et appréciés par les citoyens. Enfin, la démocratie locale et régionale offre un point d'entrée dans le processus démocratique.
Le tournant décisif pour cette initiative a été la conférence internationale tenue à Termoli en novembre 2004, lors de laquelle les participants ont signé le Protocole établissant l'Eurorégion adriatique et créé un Conseil adriatique provisoire, composé de représentants des régions adriatiques de l'Italie, de la Slovénie, de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine, du Monténégro et de l’Albanie.
Le lancement de l'Eurorégion adriatique s'inscrit parfaitement dans l'action menée de longue date par le Conseil de l'Europe pour promouvoir la coopération transfrontalière. Nous avons célébré l’an dernier le 25e anniversaire de la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, adoptée par le Conseil de l'Europe en 1980 à Madrid. Or, quatre seulement des sept pays de la région adriatique, à savoir l'Albanie, la Croatie, l'Italie et la Slovénie, sont parties à la Convention-cadre de Madrid. Je voudrais saisir cette occasion pour inviter la Grèce et la Serbie-Monténégro à signer ce texte et la Bosnie-Herzégovine à le ratifier dans les meilleurs délais.
Comme je l'ai déjà indiqué, l'Eurorégion adriatique est la première d'une série dont le Conseil de l'Europe et notre Congrès ont formé le projet pour promouvoir la coopération transfrontalière entre les Etats membres. Je me réjouis à la perspective de la conférence préparatoire sur l'Eurorégion de la mer Noire qui sera organisée en mars par la Présidence roumaine du Comité des Ministres et qui, je l'espère, sera suivie par la création d'une Eurorégion de la mer Baltique.
Ces trois eurorégions, une fois en place, rassembleront les pays riverains de trois mers semi-fermées d'Europe. Bien entendu, cette orientation maritime n'est pas fortuite. Elle répond à de nombreuses raisons pratiques d'ordre environnemental, social, culturel et stratégique mais elle a aussi une émouvante portée symbolique. J'emprunterai ici à Jacques Cousteau, un homme qui connaissait tout de la mer et a beaucoup appris sur l'humanité. La mer, disait-il, est une grande unificatrice et le seul espoir de l'homme. Aujourd'hui, plus que jamais, l’expression consacrée doit être prise dans son sens littéral : nous sommes tous dans le même bateau !