Monsieur le Directeur général, Mesdames et Messieurs,
Je tiens tout d’abord à remercier le président du Conseil d'Administration, le Directeur Général Monsieur Somavia, les porte-parole du groupe de travailleurs et employeurs, ainsi que les autres membres du Groupe de Travail de l’OIT sur la Dimension sociale de la mondialisation.
Je voudrais vous remercier de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui.
On dit que les emplois sont devenus rares dans la plupart des régions du monde. C’est vrai, mais ce n’est pas le travail qui manque. Les besoins sont là, le vrai problème c’est le financement du travail et donc des emplois.
Les taux de chômage élevés pourraient devenir un trait permanent de l'économie moderne. Ceci contribuerait évidemment à grossir les rangs des pauvres et à saper la stabilité sociale.
Comment les pays peuvent-ils créer de nouveaux emplois et faire en sorte qu'ils soient non seulement nombreux, mais aussi productifs et de nature à satisfaire chacun ?
Ce sont là les vraies questions que nous nous posons, et l’Organisation Internationale du Travail et la Communauté européenne partagent le même engagement :
pour un progrès social et économique,
pour de meilleures conditions de vie et de travail, et
pour une promotion de l’emploi.
Depuis le premier accord entre l’OIT et la Communauté déjà en 1958, nos deux institutions ont progressivement développé leur coopération.
Je tiens à souligner l’importance que la Commission européenne et moi-même attachons au Partenariat stratégique avec l’OIT que nous avons signé en 2004.
La réunion d’aujourd’hui est un moment privilégié pour débattre des priorités communes et des stratégies dans le domaine du développement.
Je suis impatient d’entendre votre point de vue sur les sujets importants à l’ordre du jour.
Pour ma part, je concentrerai mon allocution sur le premier point de votre agenda d’aujourd’hui, à savoir :
La mondialisation équitable et la réduction de la pauvreté (dans le paragraphe 47 des Conclusions du Sommet des Nations Unies).
Au cours des 20 dernières années, les problèmes sociaux et l’emploi en particulier, sont passés sur le devant de la scène, tant en Europe que dans le reste du monde.
La mondialisation a bien sûr de nombreux avantages – la création d’emplois, de richesse et l’augmentation de la croissance économique.
Mais les avantages de la mondialisation ne sont pas partagés de manière équitable. Le partage plus harmonieux des plus-values de la mondialisation est un sujet de débat et d’action politique central à mes yeux. C’est le seul débat qui vaille en ces circonstances et face à un défi d’une importance exceptionnelle pour un meilleur ordre du monde.
Vous le savez certainement déjà, je suis un libéral convaincu, et je crois en l’économie de marché pour créer richesse et emploi.
Le capitalisme économique a rarement été plus fort qu’aujourd’hui, mais la main invisible d’Adam Smith doit être inspirée et maîtrisée par une puissance publique forte et impartiale.
On peut affirmer que les démocraties européennes offrent sans nul doute le meilleur potentiel possible pour maîtriser les dévoiements de la mondialisation.
La société civile au sens large y est active, et veille à une redistribution effective. Mais cette redistribution est de plus en plus de nature thérapeutique, à la marge d’une opulence mal partagée.
Certes, elle est structurellement durable, mais trop souvent étriquée, et à relents caritatifs.
Humaniser la mondialisation implique de mon point de vue que l’on commence par un vrai débat sur le rôle de l’Etat en tant que puissance publique impartiale, garante de l’égalité des chances et de la justice sociale.
Le débat sur l’accès de tous à l’éducation, à la justice, à l’administration, à la santé, et aussi à la culture, par exemple, doit être d’urgence ouvert par les acteurs de la vie publique. Ce débat conduira nécessairement à des solutions de nature politique ; comme par exemple une plus grande convergence fiscale, qui trop souvent aujourd’hui encourage, comme du reste la mondialisation, le risque de dumping social.
Du reste, la convergence fiscale ne veut pas nécessairement dire une augmentation de la fiscalité. Cela peut aussi signifier un équilibre plus juste entre la contribution des différents types de revenus. Le revenu des placements et de la spéculation contribue souvent trop peu, alors que les revenus du travail son souvent trop taxés.
Cette approche est fondamentale, parce sans cette contribution, la puissance publique ne peut jouer ni son rôle protecteur, ni son rôle régulateur. Il ne peut non plus assurer les grandes fonctions régaliennes qui lui incombent naturellement. Pas plus qu’il ne peut peser sans moyens financiers sur la décence des emplois et sur la création d’emplois durables.
J’entends souvent dire dans nos propres sociétés que le travail manque, comme s’il n’existait plus le moindre besoin dans aucun domaine. Tous, nous savons que ce n’est pas le travail qui manque, mais les moyens pour le financer.
(La distribution inégale des bénéfices de la mondialisation est reconnue dans le document final du récent Sommet mondial de l’Assemblée générale des Nations Unies.[1] C’est à l’article 47 que cet aspect est couvert, et vous le savez, l’Union Européenne a joué un rôle important pour obtenir que cet article soit dans la Déclaration.
Il représente un appui politique fort en faveur d’actions visant à faire de l’emploi et du travail décent et productif un objectif prioritaire pour vaincre la pauvreté.
Malgré certains progrès, la moitié des travailleurs dans le monde ne gagnent pas suffisamment pour qu'eux-mêmes et leurs familles se hissent au dessus du seuil de pauvreté de deux dollars par jour.
Les rapports de votre organisation ont également relevé que la moitié de la population du monde n'a aucune protection sociale.
Vos rapports ont également attiré l'attention du monde sur le fait qu'en Afrique, 93 pour cent des nouveaux emplois et, en Amérique latine, presque tous les emplois nouvellement créés pour les jeunes, le sont dans l'économie informelle[2]).
Il y a maintenant un consensus international sur le fait que l’emploi productif et le travail décent, tel que défini par l'OIT, sont des moyens efficaces pour combattre la pauvreté et renforcer le développement durable).
Le processus d’intégration européenne inclut une dimension sociale forte et dynamique. L’UE a longtemps suivi des politiques visant à garantir le progrès économique, et en même temps le progrès social. Un des témoignages de cette philosophie, c’est non seulement, la qualité et la permanence du dialogue social. Un autre plus spécifique à l’UE, c’est la reconnaissance consacrée du secteur non marchand, par exemple.
Le modèle économique et social européen n’est sans doute pas transposable, tel quel, dans d’autres parties du monde. Mais de nombreux aspects de sa politique pourraient inspirer utilement nos partenaires en développement.
Le concept d’emploi a déjà évolué de manière substantielle en Europe. Des notions comme le temps choisi, le temps partagé, le travail à domicile, les chèques services, le crédit formation ont ouvert des perspectives intéressantes dans plusieurs pays européens.
L’organisation sociale de nos pays a généré des systèmes de sécurité sociale qui rassurent et protègent contre les accidents de la vie. Des notions comme le service universel minimal, la formation permanente, le caractère non marchand de certains secteurs, l’impôt négatif, les assurances complémentaires, ... sont tous des notions et des éléments de justice sociale qu’il serait fort utile de promouvoir graduellement dans les pays en voie de développement.
Ce qui fait la valeur ajoutée de l’Europe sur ce terrain, et ce qui fait le génie de son projet, c’est le refus par toute la classe politique démocratique d’une société duale.
C’est parce que l’Europe dispose depuis longtemps d’une société civile vigoureuse et organisée qu’elle a réussi à tendre vers cet objectif mieux que d’autres (consommateurs, syndicats, patrons...).
C’est dans ce contexte et dans cet esprit, avec la volonté d’assurer un suivi efficace du rapport de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, que la Commission a adopté, le 18 mai 2004, la Communication intitulée : « La Dimension sociale de la Mondialisation - comment la politique de l'UE contribue à en étendre les avantages à tous".
Cette communication, mais aussi la dimension externe de l'Agenda social européen, ont été présentées par mon collègue le Commissaire Spidla à votre groupe de travail en mars de l'année dernière.
Je me contenterais donc de vous présenter :
La Coopération au Développement de l’Union européenne
La politique de développement de l’UE est centrée sur la réduction de la pauvreté, mais on pourrait également la qualifier de stratégie pour une mondialisation équitable. En s’intéressant aux liens entre :
le développement et la sécurité,
le développement et la migration,
le développement et le commerce,
le développement et l’environnement,
le développement et l’emploi,
la Commission cherche à répondre à toute une série de situation et de besoins chez nos partenaires.
Les pays en développement ont la responsabilité de formuler et de mettre en oeuvre des politiques cohérentes et efficaces et de mobiliser leurs propres ressources de développement.
Je vous ai exprimé ma conviction que ce qui manque la plupart du temps dans les pays en voie de développement, ce sont des Etats dotés d’institutions impartiales.
Pour le 10ème FED, chaque Etat partenaire est invité à choisir deux secteurs de concentration (par exemple, infrastructures et développement rural). Mais ils devront également nous proposer un programme de gouvernance. Pour ce faire, ils procéderont à un examen de leurs institutions et du fonctionnement de celles-ci. Et ils proposeront des mesures pour remédier à leurs défaillances.
Afin de les encourager à être ambitieux dans cet objectif, nous avons prévu dans le FED, une tranche incitative très importante. Les pays qui s’engageront de manière volontariste et crédible dans ce programme verront les montants alloués substantiellement augmentés.
De mon point de vue, la gouvernance recouvre un nombre important de domaines. L’impartialité de la justice, une administration loyale et au service de la population, une police humaine et préventive, des services de santé accessibles pour tous, le principe de la subsidiarité par le renforcement des capacités locales, des impôts fondés sur la capacité contributive des citoyens, des droits économiques, des droits sociaux comme la liberté syndicale, le pluralisme politique, des politiques encourageant la participation de la société civile, la ratification des conventions des Nations Unies, etc.
Les nouvelles initiatives politiques de 2005 telles que le Consensus européen pour le développement, la Stratégie pour l’Afrique, la Communication sur la cohérence, l’efficacité de l’aide, le paquet du Millénaire font référence de manière spécifique à tous ces domaines, en particulier à:
l’emploi,
la cohésion sociale,
au travail décent,
à l’égalité des sexes,
la jeunesse,
la formation professionnelle
la dimension développementale de la migration.
Ils font également partie intégrante de notre nouveau programme thématique intitulé « Investir dans les Ressources humaines ».[3]
Un exemple d’action opérationnelle est une nouvelle initiative que je vais proposer à la Commission et au Conseil ACP/UE. Elle a pour but d’inciter toutes les entreprises actives dans les pays ACP à respecter des normes éthiques de base. De manière systématique, nous prévoyons dans cette démarche des mesures d’incitation à la mise en œuvre des conventions de l’OIT.
Nous envisageons d’ailleurs d’introduire des obligations par la voie juridique aux entreprises attributaires de marchés, avec des mesures de contrôle du respect des engagements pris.
Pour moi, les conventions sur la liberté syndicale et la négociation collective, l’élimination du travail forcé et obligatoire, l’élimination des discriminations ne matière d’emploi et de travail, l’abolition du travail des enfants sont des termes de référence qui doivent devenir incontournables. Il est indispensable de combiner cette obligation juridique à une action politique à l’égard des gouvernements. J’entends inviter fermement les Etats ACP à ratifier et à mettre en œuvre les conventions OIT dans l’esprit de l’Article 50 de l’Accord de Cotonou. Il est clair que nos deux organisations peuvent et doivent travailler ensemble sur ce dossier. Que ce soit sur les aspects du dialogue politique ou par l’échange d’informations, nous pouvons et nous devons développer une stratégie commune. A cet égard, j’aimerais vous proposer également d’envisager une approche régionale (...).
Pour les secteurs qui ne sont pas touchés par les marchés financés par nos fonds de coopération, je compte accompagner les initiatives privées comme celles concernant les industries extractives. Nous devons aussi, me semble-t-il, OIT et Commission, dialoguer avec d’autres bailleurs de fonds pour coordonner nos actions. D’autres obligations telles que l’utilisation de main d’œuvre locale ou la formation de personnel devraient être envisagées.
Les femmes représentent 50% des actifs, et toute entrave à un accès paritaire au marché de l’emploi est un obstacle considérable à la lutte contre la pauvreté. Il est inacceptable. L’égalité hommes - femmes est un facteur incontournable de l’efficacité du développement.
Investir dans les jeunes (et les enfants), c’est investir dans l’avenir. Nous devons leur permettre d’acquérir les connaissances et les compétences qui les rendront aptes à participer au marché de l’emploi. La scolarisation est un droit humain élémentaire. Le travail forcé des enfants en est la négation.
Il est clair pour moi que le travail décent pour tous doit être l’objectif à long terme pour les États membres de l’UE et pour les pays partenaires.
La qualité des politiques nationales et des institutions a un effet majeur sur la capacité d’un pays à bénéficier, ou non, des avantages de la mondialisation et à en réduire, ou non, les risques.
En conclusion
J’ai évoqué tout à l’heure le modèle économique et social européen et le succès de l’expérience européenne. En particulier sa capacité à combiner équitablement croissance économique et progrès social.
Les objectifs politiques de croissance économique, de plein emploi, de développement social et de gestion durable de l’environnement, tous liés, exigent une forte interaction entre des institutions efficaces, transparentes et responsables et les groupes d’acteurs clés.
Le modèle européen a beau être une référence dans ces domaines, il est clair que la mise en place de telles structures de gouvernance prend du temps, exige des ressources et surtout une volonté politique forte.
L’OIT et la Commission européenne peuvent partager leurs expériences et mener une réflexion commune sur les thèmes sociaux contemporains.
La Commission veut renforcer son dialogue avec les partenaires sociaux sur la programmation et la mise en œuvre de sa politique de développement.
Les représentants des employeurs et des travailleurs connaissent les réalités du terrain. Ils sont les premiers acteurs du développement.
Mesdames, Messieurs,
Je suis disposé à approfondir nos relations et même à les consacrer dans une stratégie négociée. Je tiens à vous remercier de m’avoir donné l’opportunité de vous exposer ma vision de la dimension sociale de la mondialisation dans la politique de développement.
Aucune institution ne détient la réponse unique à un défi aussi gigantesque et aussi existentiel. Il y a plusieurs décennies, on avait annoncé l’émergence incontournable d’un nouvel ordre mondial. Ce nouvel ordre s’est subrepticement installé sans qu’on prenne toute la mesure des conséquences qu’il pouvait induire. Trop occupés à admirer les triomphes technologiques de notre génie, nous n’avons pas anticipé le danger à temps. Aujourd’hui le politique doit combler un retard colossal sur les forces irrépressibles d’une machine financière infernale abandonnée trop souvent sans garde-fous à la vigueur exponentielle de sa propre dynamique.
[1] « Nous sommes résolument en faveur d'une mondialisation équitable et décidons de faire du plein emploi et de la possibilité pour chacun de trouver un travail décent et productif... un objectif prioritaire. » (art. 47)
[2] Emploi des jeunes, rapport du BIT soumis à la conférence international du travail de juin 2005.
[3] Et d'autres programmes thématiques comme la coopération avec les pays tiers sur la migration et le programme sur les acteurs non étatiques).