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Date :  2005-07-04
langue :  Français
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Décroissance conviviale

Décroissance


Le modèle de développement des pays industrialisés est fondé sur la croissance de leur économie, autrement dit l’augmentation de leur production de biens et de services. Ce modèle privilégie des critères principalement quantitatifs pour l’évaluation des richesses nationales. Dans le sillage des pays développés, les pays en développement et les pays émergents visent eux aussi une croissance économique maximale.

Or ce mode d’évaluation des richesses a aujourd’hui largement prouvé ses insuffisances. La pollution, les maladies et les dysfonctionnements sociaux se multiplient aux dépens de la qualité de vie des populations, tandis que d’un point de vue seulement quantitatif ils pouvaient apparaître « souhaitables » parce que générant des activités supplémentaires et donc (en théorie) de la « croissance ».

Cependant, d’autres (et nombreuses) formes de richesse (2), non prises en compte par les indicateurs économiques officiels tels que le « PIB », existent bien sûr, au nombre desquelles il faut citer le « bien-être » et la diversité culturelle. Elles relèvent notamment du domaine du relationnel, de la convivialité, et d’une logique qui privilégie les liens humains aux biens matériels. La prise en considération de ces richesses invite à prôner une décroissance conviviale, concept né d’un nouvel imaginaire, suggérant qu’une autre organisation économique et sociale est possible — et même nécessaire au vu de la dégradation actuelle des écosystèmes et des équilibres sociaux. En effet « on ne peut continuer à consommer de manière infinie dans un monde fini », comme le souligne Albert Jacquard (3). À titre d’exemple, si l’ensemble de la population mondiale adoptait le mode de vie étasunien, ce n’est pas une mais sept planètes qui seraient nécessaires pour satisfaire ses besoins de consommation (4) .

La priorité accordée majoritairement à la croissance dans nos sociétés s’oppose aux critères d’un développement social durable. En effet, si la croissance est largement considérée comme génératrice d’emplois, on sait qu’elle peut également en détruire (par la recherche de gains de productivité, la substitution du facteur « capital » au facteur « travail », etc.). De fait, le renoncement à la croissance et l’intégration d’autres formes de richesses conduisent à explorer de nouvelles voies :

1- La distinction entre besoins fondamentaux et besoins socialement fabriqués, ainsi que des stratégies de développement personnel pourraient inciter à « se centrer sur l’essentiel » et à éliminer le superflu dans nos modes de vie.

2- Travailler moins pour vivre mieux ? Le refus du règne de la marchandisation pourrait aller de pair avec le refus d’une emprise excessive du travail, permettant de dédier du temps à la requalification des rapports sociaux et la valorisation de la convivialité (5), qui sont au principe même de la vie sociale, puisque chacun de nous se définit par rapport aux relations qu’il bâtit avec l’autre. La relation conviviale peut ainsi se substituer aux relations hiérarchiques des sociétés industrielles et s’en distinguer radicalement en ce qu’elle s’inscrit dans une dynamique du don, de l’auto-organisation (cf. ci-après) et de l’échange qualitatif. Si la productivité est centrée sur l’avoir, la convivialité, elle, se conjugue avec l’être et promeut ce que Mauro Bonaïuti appelle « les biens relationnels » (6).

3- L’auto-organisation. Il s'agit de retrouver en soi, ou autour de soi, les savoir-faire, les « savoir-être » qui permettent de satisfaire ses propres besoins. Cela d’abord en distinguant l’économique comme ensemble des stratégies mises en place pour satisfaire les besoins humains de l’économie comme science s’intéressant à la marchandisation de la plupart des activités sociales. Refuser les principes de l’économie ainsi définie suppose aussi la redécouverte de l’économique à l’œuvre dans nos sociétés — ce qui passe par une « auto-organisation » valorisant principes de réciprocité et économie non monétaire, éléments non reconnus par le modèle dominant.

4- Le retour au local. Sous l’effet des mondialisations en cours, un nombre croissant de biens ne sont plus produits sur nos territoires de vie. Or, de nombreux producteurs locaux essaient de retrouver une reconnaissance sociale, notamment par la réorientation de leur production. Dans le domaine alimentaire, le choix de produits de proximité et d’une consommation respectueuse des saisons permettent ainsi de resserrer les liens entre les hommes et leur territoire. Il s’agit alors de se réapproprier et de redynamiser les lieux de vie par une meilleure connaissance des savoir-faire et des « savoir-être » locaux.

L’idée d’une décroissance de la production et de la consommation est ancienne. Les mouvements alternatifs des années 1960 en Europe et aux Etats-Unis ont été les premiers à critiquer les dysfonctionnements de la société de consommation. Par la suite, les travaux de Nicholas Georgescu-Roegen (7), apparus dans le contexte du Club de Rome (1972) et du premier Choc pétrolier (1973-74), ont relancé cette idée. Statisticien et économiste réputé, Georgescu-Roegen met en avant un concept de "bio-économie" qui privilégie les équilibres écologiques et sociaux. C’est ainsi que s’est forgée une nouvelle conception des rapports entre les êtres vivants et la biosphère (8). Cette vision s’oppose aux thèses présentant le monde d’un point de vue exclusivement technique, et définissant la nature comme stock inépuisable de ressources, susceptible d’absorber tous les déchets et de s’adapter à toutes les dégradations anthropiques. Ce paradigme moderniste a fait de l’homo oeconomicus un dangereux perturbateur des équilibres écologiques et sociaux. Or les dysfonctionnements qu’il a entraînés invitent aujourd’hui à privilégier d’autres modèles de développement, relevant de la « postmodernité » (9). Mais cela exige une remise en cause radicale de nos représentations, et l’invention d’un autre « vivre-ensemble », qui serait centré sur la convivialité et non plus sur la productivité.

Face à « l’arrogance de l’économisme » (10) et à l’instrumentalisation du concept de développement durable par la pensée productiviste, la question de la décroissance et la réflexion sur ses modalités apparaissent ainsi désormais d’une importance cruciale.

___________

(1) Alain Claude Galtié, « La décroissance : dans quels contextes ? », in Revue Réfractions N° 15. Hiver 2005. Site :www.refractions.plusloin.org

(2) Patrick Viveret, Reconsidérer la richesse, éd. La Découverte, 2000.

(3) Albert Jacquard, Voici le temps d’un monde fini, éd. Le Seuil, 1991.

(4) Source : www.wwf.fr

(5) Ivan Illich, La convivialité, éd. Le Seuil, 1973.

(6) Mauro Bonaïuti, « A la conquête des biens relationnels », in Objectif décroissance, éd. Parangon, 2003.

(7) Nicholas Georgescu-Roegen, Demain la décroissance, éd. Sang de la terre, 1995.

(8) Jacques Grinevald, « Georgescu-Roegen, bioéconomie et biosphère », in Objectif décroissance, éd. Parangon, 2003.

(9) Niels Brügger, Finn Frandsen et Dominique Pirotte. Lyotard, Les déplacements philosophiques, éd. De Boeck Université, 1993.

(10) Serge Latouche, « Ecofascisme ou écodémocratie », in Le Monde Diplomatique N° 620. Nov 2005.


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