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Date :  2005-12-01
langue :  Français
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Réinsertion sociale


La mondialisation et la marchandisation à marches forcées de nos sociétés laissent sur le bord de la route un grand nombre de personnes de plus en plus fragilisées. Comment ces naufragés du développement parviennent-ils à survivre ?
En effet, si l’on est d’accord pour affirmer que l’être humain est un être social, il convient de mettre en évidence qu’il ne peut supporter durablement la mise à l’écart de ses semblables. En effet, il va rechercher par tous les moyens la reconnaissance qui va lui donner l’illusion d’exister. Adam Smith (1) affirmait déjà : « Le besoin d’être regardé est même à l’origine de tous les autres besoins ». Il parait illusoire de juger négativement la dépendance de l’individu au regard d’autrui, il faut au contraire la percevoir comme naturelle. L’homme devient alors, en quelque sorte, le juge immédiat du genre humain. La régulation sociale émet ainsi un contrôle immédiat sur les comportements de chacun. Smith va plus loin en avançant l’idée que chacun doit se construire « en spectateur impartial et bien informé » de lui-même. Cette reconnaissance sans cesse imposée participe de la dynamique individuelle et nous pousse vers un incontrôlable désir de l’acceptation collective.
Par ailleurs, les philosophes de la reconnaissance ont montré l’intérêt d’être reconnu par ses pairs. Ce qui différencie l’animal de l’homme, c’est que le premier n’obéit qu’à son instinct de conservation, alors que le second, en plus de ce désir biologique de la vie, aspire à la reconnaissance de sa valeur par autrui. L’homme pourrait alors aller jusqu’à la mort pour obtenir l’assentiment général. Hegel considère que la lutte pour la reconnaissance, « lutte à mort de pur prestige », est à l’origine des progrès de la moralité. Chacun d’entre nous, en effet, chercherait à atteindre trois paliers de reconnaissance :

- La reconnaissance juridique définissant la sphère des libertés individuelles ;
- La reconnaissance dans l’amour offrant la sécurité affective ;
- La reconnaissance dans l’Etat qui permet à chacun de contribuer à la reproduction de l’ordre social dans le respect de lui-même.

En fait, ce qui est universel et constitutif de l’humanité, c’est que nous entrons dés la naissance dans un réseau de relations humaines, donc dans un monde social. Le fait d’exister et de trouver sa place dans ce collectif explique l’ensemble des efforts réalisés par chacun pour relever le défi de la lutte des places. Mais comment exister lorsque le système en place m’a exclu, m’a mis à l’écart?
Certains individus cumulent en effet un ensemble de contraintes qui vont les marginaliser, les disqualifier au regard des critères de sélection productiviste. Plus fragiles que les autres, les femmes et les femmes d’origine immigrée plus encore, seront les premières à connaître ce genre de déconvenue. Et bien, c’est par la convivialité qu’elles seront capables de retisser progressivement le lien distendu par les impératifs économiques imposés par la course à la productivité. Déjà en 1973, Ivan Illich (2) a montré que la convivialité était l’inverse de la productivité industrielle. Il s’agit bien là de deux registres différents qui séparent aussi l’économisme et le social.
Pour parvenir à réconcilier ces deux sciences humaines et réenchasser l’économique dans le social, il convient de prendre le temps de considérer les efforts de chacun pour retisser la logique sociétale. Cette recherche conviviale (3) est le propre des collectifs en réinsertion qui vont émettre un ensemble de stratégies diverses et variées pour revisiter les relations sociales (réseaux d’échanges, groupes d’alphabétisation, groupes de parole, d’insertion par le travail…). Ces innovations sociales s’inscrivent toutes dans une recherche de l’être et ce malgré un domaine économique méprisant leur savoir-faire. C’est un peu la revanche sociale des exclus du modèle dominant qui entretiennent ainsi une relation alimentée par les productions de chacun. Mais, ces réalisations productives sont secondaires par rapport à la force du lien, de la reconnaissance autoentretenue par la force du collectif. Ces groupes développent, en effet, des activités produisant une utilité de reliance (4). Ils relient par une production d’ordre socio-économique les participants aux autres membres du groupe. Cela leur permet d’assurer une confiance qui va se retrouver dans les rapports sociaux extérieurs au groupe. C’est dans une logique de réciprocité que va se nourrir le lien ainsi réactivé. Elle sous-entend un échange dans la tradition du don, contre-don. C’est à dire qu’elle se construit sur le tryptique : donner, rendre et recevoir (5). Ainsi, cette règle d’or du groupe, implique de vivre les deux facettes de l’apprentissage, de jouer successivement le rôle d’enseignant et celui d’enseigné, de ne pas être toujours en position de donner ou de recevoir mais d’alterner les deux, notamment en permettant le « «paiement » des savoirs ou savoir-faire reçus. Ainsi, cette norme de réciprocité régit l’échange social et incite à équilibrer l’offre et la demande dans des relations sociales d’égal à égal. Cette réciprocité « générale » favorise la circulation des savoirs et la diversification des échanges (6). Ainsi mises en contact avec un collectif, elles devront cibler ce qu’elles sont capables d’apporter sous forme de don (7) aux autres personnes du groupe. Ensuite, être capables de recevoir un savoir-faire provenant d’une ou plusieurs personnes sous forme de contre-don. Ce qui n’est pas toujours le plus facile pour les personnes qui ont été depuis longtemps exclues d’une relation sociale enrichie. Mais une fois la règle du jeu acceptée, l’alchimie réciprocitaire permettra de créer du lien entre toutes ces personnes. Il convient de constater que la souplesse de l’organisation est nécessaire pour garantir la libre expression de chacun.
L’auto-organisation pourrait être alors perçue comme le domaine privilégié de la réconciliation entre l’économique et le social. « Auto-produire » c’est produire pour soi, pour sa famille pour ses voisins (8). C’est réintroduire l’échange social dans l’échange économique. Cette forme de réenchassement (9) de l’économique dans le social redonne tout son sens aux efforts de ces collectifs en réaffiliation qui vont mettre en place des stratégies pour exister à travers leurs productions de biens ou de services. « Auto-produire » c’est aussi avoir le plaisir de travailler de ses mains, à son rythme sans être contraint. C’est retrouver l’intelligence des mains tout élargissant ses horizons à la rencontre de l’autre. Quitter son environnement de béton pour rejoindre le groupe qui cherche à remettre l’imagination au service du collectif. Cette force de proposition entraîne une dynamique porteuse d’espérance vers une possible insertion économique.
En effet, à terme, il ne peut y avoir d’insertion économique dans le modèle marchand sans un renforcement de l’auto-estime qui s’entretient à l’intérieur des groupes en réinsertion. L’insertion et la reconnaissance sociales sont donc un préalable incontournable à l’insertion économique. La convivialité sera un puissant levier de requalification sociale vers une nouvelle dynamique individuelle et collective.



Notes:

(1) Même s’il est plus connu pour ses travaux d’économiste, Adam Smith était avant tout professeur de morale. Il considérait que La théorie des sentiments moraux qu’il publia en 1759 était un ouvrage plus important que la fameuse Richesse des Nations . Adam Smith, La théorie des sentiments moraux, Editions d’aujourd’hui, 1982.
(2) Ivan Illich, La convivialité, Seuil, 1973. Et, en particulier, le chapitre 2 « La reconstruction conviviale » de la page 26 à 72.
(3) Ivan Illich, Le travail fantôme, Seuil, 1981. Et plus particulièrement le chapitre 4 « La recherche conviviale » de la page 91 à 117.
(4) Voir le travail de Marcel Bolle De Bal in, Voyages au cœur des sciences humaines. De la reliance Avril 1996. Travail qu’il a mené en 2 tomes. Tome 1 : Reliances et théories (320 pages) et tome 2 : Reliances et pratiques (340 pages).
(5) Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques. L’année sociologique, nouvelle série, 1, 1925.
(6) Maurice Godelier, L’énigme du don, Ed. Flammarion, 2002. 314 pages.
(7) Petitat A. "Le don : espace imaginaire, normatif et secret des acteurs", Anthropologie et Sociétés, vol. 19 N°1-2. 1998. Page 18.
(8) Guy Roustang, Démocratie : les risques du marché, Editions Desclée de Brouwer, 2002. Et, en particulier, le chapitre 4 « L’économie plurielle pour un autre modèle de développement » de la page 117 à 134.
(9) Traduction du terme « embededness » de Karl Polanyi in, La grande transformation, aux origines politiques et économiques de notre temps, Ed. Gallimard, 1983.


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