Il y a soixante ans, sur les décombres du conflit le plus meurtrier de l’histoire, la naissance de l’UNESCO était un acte de foi dans l’avenir du monde. Et un appel à l’action, sur le fondement de ce principe et de cette conviction : « Les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des
hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ».
Quelle ambition plus haute que de servir la paix et l’unité mondiales, par l’éducation, la science et la culture ? Quelle mission plus actuelle, dans le monde d’aujourd’hui ? Car l'une des réponses fondamentales au défi du terrorisme et à la violence de notre temps tient dans la culture et dans la
préservation de la diversité des identités culturelles. Ce qui est en jeu dans le projet de convention qui est soumis à votre approbation, ce sont en effet les conditions d'une relation pacifique et confiante avec l'autre, c'est-à-dire la reconnaissance de l'altérité, la conscience d'une profonde égalité en dignité des cultures, la foi dans la liberté des artistes et des créateurs, des peuples et des sociétés, d'exprimer ce qui fait leur être et leur vision du monde.
« L’ère du monde fini » qu’annonçait Paul Valéry a commencé. La mondialisation nous a rendus à la fois plus proches, mais aussi plus dépendants les uns des autres, en conférant à notre génération une responsabilité sans précédent vis-à-vis de notre planète, à l'image de la lutte en faveur de la biodiversité et de la protection de notre environnement naturel.
A notre génération revient aujourd’hui d'inscrire dans le droit international que les œuvres d'art et de l'esprit ne peuvent être considérées comme des marchandises. A notre génération revient aujourd’hui de décider qu’en notre époque où tout s'échange, où tout peut devenir objet de commerce, nous devons donner à la culture une place particulière, conforme à la dignité de l'être humain.
Tel est le sens de la convention sur la diversité culturelle, dont mon pays a souhaité l'adoption devant vous, il y a deux ans, par la voix de Monsieur Jacques CHIRAC, Président de la République française.
Ce message, ce n'est pas celui du repli identitaire, ce n'est pas la tentation de la fermeture et des particularismes qui justifieraient toutes sortes de violences et de fanatismes. Ce message, c’est celui de l'attachement pluriséculaire de la France à la liberté, à la tolérance, à la raison, aux valeurs qui fondent la
déclaration des droits de l'homme, cette déclaration qui appelle à toutes les émancipations et les réunit dans une même universalité.
Monsieur le Directeur général, créée pour servir son unité, l’UNESCO doit maintenant sauver la diversité du monde. Vous avez la charge de piloter cette grande organisation qui a entrepris de se rénover et de se tourner vers les chantiers du XXIe siècle. Nous vous faisons confiance pour contribuer ainsi à maîtriser et à humaniser la mondialisation.
En adoptant le projet de déclaration relative aux normes universelles en matière de bioéthique, en faisant progresser, comme chef de file, l'éducation pour tous, ce grand projet lancé à Dakar en 2000, qui se doit d'être, dans les prochaines années, une opération majeure au service du développement, l’UNESCO montre que la culture est une éthique, et nous donne de nouvelles chances de faire vivre cette conviction de Montaigne : « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ».
Le patrimoine, qui a tant compté pour faire connaître l'UNESCO, est aussi de nature immatérielle et notre organisation a adopté une convention pour le protéger. Monsieur le Directeur général, je suis heureux de vous annoncer qu'en France le processus de ratification de cet instrument est désormais bien
avancé.
Il y a quarante-cinq ans, l’appel lancé par l’UNESCO pour sauver Abou Simbel était un appel à la conscience universelle. André Malraux, mon illustre prédécesseur auprès du général de Gaulle, y répondit, à cette tribune, en ces termes : « vous proposez l’action qui fait appel à tous les hommes contre tous les grands naufrages. Votre appel n’appartient pas à l’histoire de l’esprit parce qu’il veut sauver les temples de Nubie, mais parce qu’avec lui, la première civilisation mondiale revendique publiquement l'art mondial comme son indivisible héritage ».
Aujourd’hui, nous avons la responsabilité de franchir une nouvelle étape de notre action commune, pour faire de cet héritage notre projet. En adoptant la convention sur la diversité culturelle, écrivons ensemble cette nouvelle page de l’histoire de l’esprit. La reconnaissance de la diversité n’est pas uniquement un projet culturel. C’est une ambition politique, fondement même de la paix dans le monde d’aujourd’hui.
Je vous remercie.