«Dans un ultime effort, la secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice vient de mettre tout son poids dans la balance pour tenter de repousser l'adoption par l'UNESCO d'une convention protégeant la diversité culturelle», rapporte le quotidien Le Devoir.
En effet, madame Rice a adressé personnellement une lettre à tous les ministres des Affaires étrangères des pays membres de l'UNESCO leur enjoignant de prolonger la discussion sur le projet de convention dont l'adoption semblait pratiquement acquise depuis quelques jours. Dans cette lettre, rapporte Le Devoir, elle exprime son inquiétude de voir les "formulations ambiguës" du projet de convention (destiné à permettre aux pays de protéger leurs industries culturelles) bloquer tout progrès dans la libéralisation des échanges. «Nous croyons que cette convention pourrait aussi être utilisée par certains gouvernements afin de justifier des restrictions à la libre circulation des informations et interdire des points de vue et des pratiques culturelles minoritaires», écrit la secrétaire d'État. Aussi, afin d'éviter ces «abus par des forces opposées à la liberté d'expression et au libre-échange», madame Rice propose de repousser l'adoption du projet, prévue au plus tard avant la fin de la 33e Conférence générale de l'UNESCO qui se tient actuellement à Paris. Selon des observateurs, souligne Le Devoir, la diplomatie américaine a récemment multiplié les pressions auprès des pays membres. Ainsi, une rencontre ad hoc a réuni le chef de la délégation américaine et les représentants d'une vingtaine de pays à la suite de laquelle le porte-parole américain a repris les arguments de madame Rice et a soutenu que le travail sur cette convention avait été bâclé. Selon lui, la convention couvre un champ trop large et pourrait s'appliquer aussi bien aux livres qu'aux vins. À cet égard, le porte-parole du Canada, M. Arthur Wilczynski, a répondu que le texte actuel du projet de convention tenait déjà largement compte de ces inquiétudes, de même que la plupart des participants, dont le représentant des 25 pays membres de l'Union européenne, ont exprimé sensiblement le même point de vue.
Cependant, constate Le Devoir, pour l'instant, ces efforts ne semblent pas avoir ébranlé le consensus qui se dégage depuis plusieurs semaines. La majorité des 191 États membres semblent d'accord pour donner à la convention le même poids que les traités commerciaux de l'OMC. C'est par une majorité écrasante de 53 sur 54 membres présents que le comité exécutif de l'Unesco avait décidé la semaine dernière de proposer le texte à l'assemblée plénière. Aussi, fait remarquer l'ambassadeur du Canada auprès de l'UNESCO, M. Yvon Charbonneau, l'intervention de madame Rice « va mettre du piquant, mais elle ne changera rien (...). Les gens sont conscients que si on entrouvre la porte, tout le monde voudra y entrer ». Allant dans le même sens, le vice-président exécutif de la Coalition canadienne pour la diversité culturelle, M. Robert Pilon, déclare: « On sait que les hauts fonctionnaires américains déploient beaucoup d'énergie. Ils font pression sur les responsables du commerce international des pays membres dans l'espoir de les convaincre de faire pencher la balance en faveur du commerce plutôt que de la culture. S'ils font intervenir Condoleezza Rice, c'est qu'ils n'ont pas jeté l'éponge ». Par ailleurs, il souligne que ces interventions visent aussi à faire en sorte que, même si le projet de convention est adopté la semaine prochaine, plusieurs pays ne le ratifient pas. La convention n'entrera en effet en vigueur que si elle est ratifiée par au moins 30 pays. Pour lui donner un véritable poids politique, il faudrait qu'elle le soit par un nombre encore plus grand. Cependant, il estime que si les États-Unis sont intervenus tardivement dans le débat à l'UNESCO, ils ne rateront pas le bateau pour l'étape de la ratification.