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Date :  2001-10-17
langue :  Français
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Terrorisme

Terrorisme

Source :  Ranabir Samaddar


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Qu'est-ce que le massacre terroriste et la mort terroristes ? Leur essence ne se trouve pas dans la mort du terroriste ou dans celle des victimes, mais dans la terreur émanant de cette mort – une terreur-mort, une mort qui terrorise, une terreur qui produit la mort, une mort anormale, qui n'a rien de banal, exceptionnelle et terrorisante dans sa différence d’avec celle qui advient au terme d'une vie normale. Ainsi, la plupart des gens ne seront pas terrorisés par la mort de ces inconnus survenue dans les hauteurs des gratte-ciels et qu'ils ne peuvent se représenter. Ils seront plutôt terrorisés par la perspective de leur propre mort que ces morts révèlent. Des terreurs très différentes, d'une différence que le baroque, l’extravagance des conditions de la mort ne sauraient effacer. En fait, plus la mort est universelle, plus le sont ces différences. Les Américains n'étaient pas terrorisés par les morts du Rwanda, les Tamouls n'étaient pas terrorisés par les morts du Penjab et du Bengale. La mort est universelle ; la terreur est différentielle. Nous savions, depuis au moins un demi-siècle, que les massacres s'accomplissent dans l’indifférence de ceux qu'ils n'affectent pas directement. Ils sont aujourd’hui objet de préoccupation par la terreur qu'ils engendrent. La mort a pris une consistance propre, elle est devenue un acte qui tend vers l'universalité. Dans la torture des hérétiques du Moyen-Âge, la fréquente strangulation de jeunes enfants par les empereurs Ottomans, la lapidation des «libertins» sur les terrains vagues, les fusillades de communistes dans des stades de football – dans tous ces cas, la mort est protocole. Le protocole consiste à établir ce qui devrait être «vivant» par différence d’avec les grands massacres anonymes des guerres. Ceux-ci ont peine à être considérés comme événements, bien qu'ils soient reconnus comme des faits : ce sont des massacres d'esclaves, d'inconnus, de foules, de plébéiens. Paradoxalement, en faisant de la mort un acte baroque, on détruit sa singularité. Les morts en masse sont devenues banales comme le furent jadis les massacres anonymes.

La mort est toujours une occasion pour les Etats de produire du sens. Et la révolution a besoin de morts bien plus qu’une contre-révolution. L’Etat ne peut reprendre le dessus sans «rite meurtrier». La victime y tient son rôle. Elle est innocente, pure, n’est pas complice de l’assassin – elle incarne la vie quotidienne. Elle n’était pas exceptionnelle. Sa mort consiste à mourir des mains du meurtrier, massacre de l’innocence, catastrophe du silence. Une mort qui réclame également des funérailles baroques, comme après ces tueries de familles et de clans, comme avec ces épouses menées au bûcher, avec ces villageois traînés au peloton d’exécution. Les effets dépassent l’événement. Nous devons jeûner plusieurs jours, respecter certains rites purificatoires, contraindre d’autres personnes à la pénitence, au silence, à l’agonie, en tuer quelques uns ou quelques milliers pour nous venger, construire un mausolée – sorte de déni de la mort qui absorbe immédiatement cette mort dans des monuments, des actes qui incluent la mort d’un grand nombre d’autres personnes. Vengeance d’ange exterminateur qui transformera le massacre de tous ces autres en suicide de nous-mêmes. Ainsi l’Etat peut-il reprendre le contrôle perdu. Dans la révolution, et plus encore, dans la restauration, le pouvoir a besoin du protocole de mort. La mort d’un terroriste ou la mort des mains d’un terroriste est vie en ce qu’elle ramène à la vie. Par exemple, l’Etat revient à la vie après une seule et unique mort comme celles d’Indira Gandhi en Inde ou de Premadasa au Sri Lanka, la victime se transforme parfois en symbole de vie (Gandhi, Kennedy, Martin Luther King Jr.), les indifférents deviennent d’anxieuses victimes potentielles, et les ambassadeurs retrouvent une vocation que la routine avait occultée. A cet égard, le choix des instruments de mort importe peu. La main (strangulation), la corde (pendaison), le poignard (assassinat), l’arme à feu (fusillade), la bombe (destruction massive), l’avion de ligne (pénétration), l’ogive nucléaire (réduction à néant du monde), l’arme chimique (intoxication), l’injection (mort agréable) et les missiles guidés (« révolution dans les affaires militaires ») – tous ne sont que circonstanciels. L’essentiel reste la mort, que l’on accomplit par le massacre et la terreur. Le principe fondamental est celui-ci : cette mort n’était pas certaine, la terreur l’a rendue inéluctable. Elle peut me visiter à tout moment. Dès lors, le fantôme doit être laissé à son repos, les décombres réduits en cendres, le cadavre enterré dignement – encore une fois, le mode est instrumental: la fonction meurtrière du massacre est le protocole du pouvoir vivant.

Mourir consiste alors à percevoir la vie. D’où ces questions: Comment la mort nous est-elle advenue ? Comment devient-elle si fluide ? Comment la terreur est-elle devenue réalité ? Que faisaient les dieux et les témoins lorsque l’assassin se préparait ? En d’autres termes : la mort a-t-elle une « structure » – elle qui est censée en finir avec toutes les structures ? En d’autres termes encore : que faut-il entendre des paroles du philosophe lorsqu’il dit que la mort-terreur n’est pas « comptabilité mais végétation », qu’elle est reproduite mais non répétée, que la mort à My Lai est et n’est pas la même qu’à Manhattan, que la mort au sol est et n’est pas la même que dans le ciel ?


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