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Date :  2001-10-14
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Démocratie

Démocratie


La question de «la démocratie» est au cœur du débat sur «la mondialisation». Et il apparaît essentiel de bien comprendre les liens entre privatisation de celle-ci (sous la figure de la globalisation économique et financière), et privatisation de celle-là (sous les formes rivales de la «démocratie américaine» et des «démocraties européennes»).

D’un côté de la table du débat, les gouvernements occidentaux, les organismes multilatéraux et les firmes internationales utilisent «la démocratie» comme argument de vente, voire objectif ultime de «la mondialisation» réduite à son phénomène économique contemporain, la globalisation industrielle et financière, productive et marchande. Celle-ci, ignorant ou transgressant les frontières normatives du passé (géographiques, juridiques, monétaires…), égalisant les coûts de production et de consommation, harmonisant les conditions de vie, facilitant les transferts et les échanges, diffusant plus vite les connaissances et les outils, aurait aussi pour vertu d’étendre le paradigme démocratique à l’ensemble de la planète. D’une part, «la démocratie» comme modèle positif serait mieux connue et reproduite dans le monde entier. D’autre part, l’amélioration de l’environnement économique et social, effet supposé de la globalisation, entraînerait dans son sillage une amélioration des conditions et des pratiques démocratiques. La globalisation ferait ainsi, comme Monsieur Jourdain, de la démocratie sans le savoir.

Enfin, forts de cette conviction sans cesse réaffirmée, les gouvernements démocratiques occidentaux conditionnent désormais l’accès au paradis du libre-échange à la satisfaction d’une «clause démocratique», au contenu élaboré sur mesures. Tantôt, comme avec la future Zone de libre-échange des Amériques («Zlea»), et sous l’impulsion du Canada et des Etats-Unis, cette clause subordonne l’entrée d’un futur membre (Haïti) à la démocratisation sans délai et sous contrôle de son régime. Tantôt, comme avec le FMI et la Banque Mondiale, c’est l’octroi de financements structurels ou conjoncturels qui peut être soumis à l’existence ou à la promesse d’un meilleur cadre démocratique. Ainsi, un Etat ne saurait-il escompter les bienfaits économiques de la démocratie sur le long terme s’il ne donne pas de gages démocratiques à court terme.

D’un autre côté de la table, les critiques de cette vision idyllique de la future «démocratie mondiale» dénoncent les résultats effectifs récents de la globalisation économique. Des résultats qu’ils estiment désastreux non seulement sur un plan social mais aussi pour l’évolution des régimes et des pratiques démocratiques. Ainsi, des pays du sud-est asiatique, tels que Singapour, s’ils ont connu une croissance économique impressionnante depuis deux décennies, se «globalisant» de manière «exemplaire», l’auraient fait en partie au détriment d’un progrès comparable sur le plan démocratique. Ainsi, beaucoup de pays latino-américains, dont les responsables politiques nord-américains se plaisent à souligner qu’ils sont sortis de l’ère des coups d’Etat et des dictatures, restent-ils des «démocraties» très fragiles (précisément face aux nouvelles formes d’instabilité générées par la globalisation) qui dissimulent mal leur caractère profondément oligarchique. Ainsi, d’autres pays d’Europe de l’Est, dont on attendait qu’ils se «démocratisent rapidement» après le démantèlement de l’URSS, donnent-ils des signes d’évolution contradictoires : les «progrès» d’un jour d’euphorie électorale étant souvent vite gommés par le retour des «tentations du passé»…

Par ailleurs, au-delà des effets inventoriés jusqu’à présent de la vague globalisatrice des deux dernières décennies, ceux qu’elle laisse sceptiques sur la question de ses vertus démocratiques estiment que le pire est encore à venir. En effet, «la mondialisation» réduite à la forme économico-financière de «la globalisation» ne saurait être entendue seulement comme «un processus» ou «un fait» que l’on devrait se contenter d’accepter, et aux conséquences difficiles à maîtriser sur le plan démocratique. Au contraire, la globalisation porterait en elle un projet réducteur de démocratie, voire clairement «antidémocratique». Par la limitation qu’il inflige à l’expression des cultures et nations minoritaires, par le développement des pratiques oligarchiques d’exercice et de partage des pouvoirs qu’il favorise, par la faible représentativité des élites qui le portent et leur tentation d’invalider les formes de participation politique incontrôlables de «la société civile», ce projet de «démocratie mondiale» reposerait sur une idéologie profondément antidémocratique. Rien de moins, finalement, qu’un projet de privatisation du monde.

Une privatisation qui débuterait avec celle des critères, des pratiques et des objectifs de «la démocratie» entendue comme signifié univoque. C’est l’idée que le modèle démocratique américano-européen dominant pourrait être diffusé dans le monde entier de la même manière que les blockbusters hollywoodiens ou les canettes de Coca-Cola, et par des moyens commerciaux semblables. C’est l’idée qu’entre commerce, libre-échange et démocratie, il y aurait, non seulement des passerelles, mais encore des relations de causalité identifiables et reproductibles. La privatisation mondiale de la démocratie, ce serait ce mouvement par lequel, empruntant les voies du commerce, un petit nombre de dirigeants publics et privés s’estimeraient en droit d’imposer au monde «une certaine idée de la démocratie», parce qu’elle serait «la meilleure pour tous» — et, bien entendu, pour le petit nombre lui-même. «Tout ce qui est bon pour la General Motors…» : on connaît la suite de l’argument.

La dernière des OPA, la consécration de tant d’efforts, l’aboutissement et la vérité d’un tel processus, ce serait donc l’OPA sur «la démocratie»…

A moins qu’elle n’ait déjà eu lieu ?



(Sur la même problématique ou des thèmes connexes, nous recommandons l'article suivant en espagnol du même auteur : Comercio de la democracia, democracia del Comercio)


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