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Date :  2001-10-11
langue :  Français
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Nationalisme

Nationalisme


Les réactions face à «la mondialisation», comprise comme expansion de structures systémiques au détriment des "mondes de vie", ont essayé d'expliquer, voire de légitimer, le nationalisme. Dans un monde de plus en plus déraciné et cosmopolite, les identités nationales seraient le refuge de la subjectivité. Mais, si le marxisme a conçu traditionnellement le nationalisme comme une force au service d’intérêts sociaux minoritaires, il nous apparaît, plus fondamentalement, comme un modèle thérapeutique: les identifications nationales pallieraient l'anxiété issue de formes de socialisation déficientes et à tendance anomique.

Au-delà de la distinction habituelle entre références civiques et ethniques de la nationalité, cette interprétation est porteuse d'une série de présupposés sur la subjectivité humaine et le fondement des identités collectives. En dernier ressort, la nature de l'imaginaire nationaliste compterait moins que sa prétendue capacité à offrir justement ce que «la mondialisation» semble menacer: la certitude identitaire, l'enracinement social et l'authenticité culturelle. Qu'en est-il des imaginaires sociaux nationalement ré-enchantés lorsque leur perméabilité est mise à l'épreuve par ceux qui, restés en dehors de la communauté politique, réclament l'accès à cette communauté ou ceux qui exigent une reconnaissance différenciée de leurs identités au sein de la communauté ? Les réponses du nationalisme à ce genre de demandes sont nécessairement limitées, car l'objectif qu'il s'est donné est chimérique — l'homogénéité culturelle ou politique, que seul le contrôle continu du pouvoir peut produire, à travers des formes d'inclusion sociale plus ou mois imposées.

Pourquoi considérer le nationalisme comme réaction générique face à "la mondialisation" est d'autant plus contestable à la lumière d'une analyse attentive de ses phases historiques? Les nationalismes sont toujours apparus lors de grandes mutations sociales: le déclin de l'Ancien Régime, l'industrialisation, la décomposition des empires centre-européens, la décolonisation du Tiers Monde, la chute du monde soviétique... L'apparition de la nation comme fondement de la légitimité politique a de toute évidence présupposé un changement de grande ampleur: l'abandon des vieilles conceptions théologiques du pacte de souveraineté entre le peuple et le monarque. Mais la nation souveraine devait surtout se particulariser culturellement face aux autres nations. Cela répondait à un projet distinct du projet démocratique et constitua une authentique révolution de la conception des relations politiques intérieures et extérieures.

Le type d'identité culturelle que le nationalisme postule entre gouvernants et gouvernés n'est pensable qu'en termes d'homogénéité culturelle et linguistique favorisée par les instruments de la souveraineté politique. C'est pourquoi l'axiome selon lequel le nationalisme crée l'Etat et l'Etat crée la nation est généralement correct. Le passage du civisme et de l’identification locale et familiale au national est un processus historique de grande portée qui s'est accompli en parallèle avec l'urbanisation, la création de populations alphabétisées, les marchés, les sphères publiques de communication et toute une série de caractéristiques considérées comme le propre de la modernisation sociale. Cela justifie que le nationalisme ne puisse être un simple "retour aux sources" ou une réaction primitive à l'inconnu. Au contraire: le nationalisme est en soi un changement social. Il constitue le passage de la souveraineté royale à celle du peuple, des empires multiethniques aux Etats-nation, de la dépendance coloniale au gouvernement autonome.

Enfin, on peut discerner dans le nationalisme l’élaboration de stratégies politiques ethniques mises en place dans des contextes de décomposition et d’incertitude sociale. Le rôle des intellectuels dans ce processus de destruction et re-création identitaires est beaucoup plus décisif que celui que l’on attribue, généralement, à la nature ou à l'histoire. Les nationalismes de la sphère post-soviétique, généralement exploités par les mêmes intelligentsias ethniques et politiques qui avaient prospéré sous le système communiste, en ont fourni l'exemple.

En toute hypothèse, le nationalisme n’est pas seulement révélateur des intérêts spécifiques d'une classe qui, comme celle des intellectuels, a beaucoup à gagner dans l'institutionnalisation d'une culture "nationale". L’élaboration de stratégies politiques ethniques favorise de nouvelles identités prétendument ancestrales, éclaire le spectre d’ententes possibles et identifie les adversaires potentiels. "La mondialisation" multiplie seulement le nombre de variables qui interviennent dans ce processus et amplifie sa caisse de résonance.


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