La 93e Conférence annuelle de l'Organisation internationale du Travail, qui a réuni plus de 3 000 délégués, a pris fin jeudi, après d'intenses discussions sur l'urgente nécessité d'éliminer le travail forcé, de créer des emplois pour les jeunes, d'améliorer la sécurité au travail et de traiter ce que le Directeur général du BIT, Juan Somavia, a appelé une "crise mondiale de l'emploi".
"Face à une crise mondiale de l'emploi, caractérisée par une croissance du PIB chiffrée à des milliers de milliards et des emplois au compte-gouttes, nous avons besoin d'autant de bonnes idées qu'il peut en surgir pour orienter notre future ligne d'action", a déclaré Juan Somavia dans son discours de clôture de la Conférence. "La crédibilité de la démocratie et les marchés ouverts sont en jeu. Cette conférence s'est élevée à la hauteur du défi en offrant l'image d'un riche laboratoire d'idées dans les efforts que nous déployons pour faire du travail décent un objectif universel."
La Conférence annuelle des 178 Etats Membres de l'OIT a également évoqué la situation des travailleurs dans les territoires arabes occupés, l'état des normes du travail au Bélarus, en Colombie et dans d'autres pays et le point des efforts faits pour abolir le travail forcé au Myanmar. Les délégués ont eu des échanges sur la situation actuelle en matière de temps de travail et le nécessaire équilibre entre le besoin de flexibilité et celui d'assurer la sécurité des travailleurs et de protéger leur santé et la vie de famille.
En l'absence de quorum pour un vote sur un projet de Convention sur le travail dans le secteur de la pêche, la Conférence a demandé au Conseil d'administration de porter la question à l'ordre du jour de la Conférence de 2007 et décidé que le rapport qui lui a été soumis en séance plénière fasse l'objet d'un examen ultérieur.
Deux éminents orateurs ont insisté auprès de la Conférence sur l'urgente nécessité de traiter les problèmes que posent la mondialisation et le travail décent. M. Abdelaziz Bouteflika, Président de la République algérienne démocratique et populaire et Président en exercice de la Ligue arabe, avait plaidé pour une nouvelle dimension sociale de la mondialisation au cours du Sommet du Millénaire, en septembre 2000. M. Olusegun Obasanjo, Président de la République fédérale du Nigéria et Président en exercice de l'Union africaine, a invité les partenaires du développement de l'Afrique à faire du programme de l'OIT sur le travail décent un objectif universel.
La Conférence était présidée par M. Basim Khalil Alsalim, ministre du Travail du Royaume hachémite de Jordanie. Elle avait désigné à la vice-présidence M. Andrew J. Finlay (Canada) pour les employeurs, Mme Hilda Anderson (Mexique) pour les travailleurs, et M. Galo Chiriboga Zambrano, ministre équatorien du Travail et de l'Emploi, pour les gouvernements.
Elle a adopté un programme et un budget de 594,31 millions de dollars pour la période biennale 2006-07. Ce budget traduit une légère augmentation de 1,1 pour cent pour répondre à de nécessaires investissements institutionnels et diverses dépenses extraordinaires.
Le nouveau programme et budget se focalise sur le travail décent, objectif global supposant une action au niveau local, national, régional et international qui en fera une réalité. Ce programme renforce et va plus au cœur des quatre objectifs stratégiques de l'OIT: promouvoir les normes, principes et droits fondamentaux au travail, ouvrir pour les femmes et les hommes de plus larges perspectives de travail décent et de revenus, accroître la couverture et l'efficacité de la protection sociale pour tous, et renforcer le tripartisme et le dialogue social. Il suggère également des initiatives en faveur du travail décent pour les jeunes, d'une responsabilité sociale intégrée, de zones franches d'exportations et de l'économie informelle.
La Conférence a également désigné les nouveaux représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs auConseil d'administration.
La quatrième Journée mondiale contre le travail des enfants (12 juin) a été marquée par un appel de la Conférence en faveur de l'abolition, dans un délai de 5 à 10 ans, du travail des enfants dans un des secteurs les plus dangereux au monde, les petites exploitations minières et les carrières. Cet "appel à l'action" vise à "libérer" un million d'enfants, ou plus, âgés de 5 à 17 ans, qui peinent aujourd'hui, dans des conditions dangereuses, dans des mines et carrières de par le monde.
Emploi des jeunes, santé et sécurité
Aux prises avec des niveaux records de chômage des jeunes ces dernières années, les délégués de plus de 100 pays ont évoqué les voies diverses permettant d'offrir des emplois décents aux jeunes et le rôle dévolu à la communauté internationale pour progresser dans la mise en application du "programme d'emploi des jeunes". Dans son rapport final, la Commission sur l'emploi des jeunes de la Conférence a conclu que le plan d'action de l'OIT pour promouvoir l'emploi se devait d'être pratique et fondé sur l'acquisition du savoir, la promotion, la défense des droits des jeunes travailleurs en conformité avec les normes internationales du travail et l'assistance technique.
Les délégués ont reconnu que les opportunités d'emplois décents pour les jeunes devront s'accroître substantiellement, et en particulier dans les pays en développement, où vivent 85 pour cent du milliard de jeunes recensés dans le monde. La Commission a également encouragé le BIT à poursuivre le rôle moteur qu'il joue dans le Réseau d'emploi des jeunes (YEN), lancé avec le concours du Secrétaire général de l'ONU, et d'étendre l'action du Réseau à d'autres pays, développés et en développement.
La Commission sur la sécurité et la santé a discuté de la possibilité de placer la sécurité et la santé au travail dans un cadre défini, dont les dispositions, ont estimé les délégués, devraient prendre la forme d'une convention complétée par une recommandation.
Les dispositions suggérées mettraient au premier plan des programmes nationaux la sécurité et la santé au travail et favoriseraient la promotion d'un environnement professionnel plus sûr et plus sain, fondé sur le principe de la prévention, par le biais d'une approche systématique de la gestion, le lancement de programmes nationaux et l'amélioration continue des systèmes ad hoc.
La Commission sur l'application des normes a discuté de nombreux sujets.
Au titre des efforts déployés par l'OIT pour mettre un terme au travail forcé au Myanmar, la Commission a de nouveau tenu une réunion spéciale sur l'application par ce pays de la convention sur le travail forcé de 1930 (no 29), suite aux mesures prises dans le contexte de l'Article 33 de la Constitution de l'OIT. C'est la cinquième fois que se tient pareille réunion.
Relevant que l'existence du travail forcé dans le pays n'avait pas changé de manière significative et qu'il persistait dans ses pires formes, la Commission s'est dite particulièrement alarmée par l'intention prêtée au gouvernement de poursuivre ceux qu'il accuse de présenter de fausses plaintes sur le travail forcé et les mesures d'intimidation apparente prises envers les plaignants. D'autres questions d'importance réclament une réponse urgente: graves accusations de travail forcé toujours en attente, liberté de mouvement de l'Officier de liaison, délivrance de visas pour renforcer la présence de l'Organisation au Myanmar.
La Commission estime que la position "attentiste" prise par la plupart des membres depuis 2001 a perdu sa raison d'être et doit changer. Les membres tripartites doivent maintenant revoir dans l'urgence leurs relations avec le Myanmar - y compris en matière d'investissements directs ou par le canal des entreprises de l'état et de l'armée - et faire rapport au Conseil d'administration au cours de sa réunion de novembre. En fonction de l'évolution de la situation au Myanmar, le Conseil devrait être prêt à prendre de nouvelles mesures.
Une fois de plus, la Commission de l'application des normes a inscrit ses conclusions dans un paragraphe spécial pour refus persistant d'appliquer la convention no 29. Elle a, en outre, estimé - en regard du fait que la persistance du travail forcé ne saurait être dissociée de l'absence totale de liberté d'association - que les fonctions de l'Officier de liaison devraient comporter une assistance au gouvernement afin que ce dernier remplisse totalement ses obligations en vertu de la convention no 87.
S'agissant de la liberté d'association au Bélarus, la Commission a relevé qu'aucune mesure concrète et tangible n'avait été prise par le gouvernement pour se conformer aux recommandations de la Commission d'enquête de l'OIT. Dans l'ignorance du contenu d'un plan d'action envisagé par le gouvernement en matière de liberté d'association, la Commission a demandé l'envoi d'une mission de l'Organisation pour assister les autorités et évaluer les mesures prises pour se mettre en conformité avec ces recommandations.
Outre cette réunion spéciale, la Commission a procédé à l'examen de 25 autres cas particuliers portant sur la liberté d'association, le travail forcé, la discrimination, le travail des enfants, la politique d'emploi, les inspections du travail et les salaires.
L'étude globale qui, cette année, a été au centre des discussions, portait sur le temps de travail. Tout en reconnaissant que les normes limitant les heures de travail restaient nécessaires pour favoriser une concurrence équilibrée entre pays dans un univers mondialisé, la Commission a clairement signifié, dans ses discussions, que les conventions nos 1 et 30 de l'OIT ne reflétaient plus les réalités du monde moderne en matière de régulation du temps de travail et étaient perçues par un nombre croissant de pays comme trop rigides.
Les délégués ont souligné la nécessité de trouver un équilibre entre la flexibilité, d'une part, la protection des travailleurs au plan de la sécurité, la santé et la famille, de l'autre. Les discussions ont également mis en relief l'importance du rôle des dispositifs de contrôle, de la négociation collective et du dialogue social. Un document sera présenté au Conseil d'administration, synthétisant les débats et laissant à ses composantes tripartites le soin de décider de la suite à donner.
Au cours d'une séance spéciale, tenue pendant la Conférence plénière, les délégués ont eu des échanges approfondis sur la situation des plus de 12 millions de personnes prises au piège du travail forcé dans le monde, y compris, parmi elles, les 2,4 millions qui sont victimes de trafic. Ils ont vigoureusement condamné le travail forcé, considéré comme une violation de la dignité humaine et exprimé leur soutien à l'appel du Directeur général du BIT en faveur d'une Alliance mondiale face à un problème tout aussi mondial.
Les discussions tournaient autour d'un Rapport global publié dans le prolongement de la Déclaration de l'OIT sur les principes et droits fondamentaux au travail adoptée en 1998. Respect de la loi, campagnes de sensibilisation, positions renforcées des gouvernements et des partenaires sociaux, réhabilitation des victimes, alliances locales et internationales et solides programmes de coopération technique: ce sont là les conditions requises pour abolir le travail forcé dans le monde.
Le Conseil d'administration de l'OIT discutera d'un plan d'action contre le travail forcé, fondé sur le rapport et les débats de la Conférence à ce sujet.
La Conférence annuelle de l'OIT a attiré plus de 3 000 délégués, y compris des chefs d'Etat, des ministres du Travail et des responsables d'organisations de travailleurs et d'employeurs venus de la majorité des 178 Etats Membres de l'Organisation. Chaque Etat Membre est en droit d'y déléguer quatre représentants: deux du gouvernement, un pour les travailleurs et un pour les employeurs, chacun d'eux étant habilité à prendre la parole et à voter de manière indépendante.
Le rôle de la Conférence internationale du Travail est d'adopter les normes internationales du travail et d'en contrôler le respect, d'approuver le budget de l'Organisation et d'élire les membres du Conseil d'administration. Depuis 1919, la Conférence a constitué un important forum international pour débattre des questions sociales et de travail d'intérêt mondial.