Le Conseil européen auquel nous nous préparons, demain et vendredi, marquera un tournant dans la construction européenne.
Les résultats des referenda en France et aux Pays-Bas ont plongé l’Union dans le doute : au-delà du vote sur la constitution, ils expriment en effet une profonde interrogation sur le sens du projet européen.
Pour ma part, j’estime que l’Union a connu d’autres situations difficiles, mais chaque fois l’engagement et la conviction de ses responsables ont permis de les surmonter et de relancer le projet européen.
Nous devons dissiper ce doute et redonner confiance à nos concitoyens dans le projet européen.
Si nous n’y parvenons pas, l’Union s’enfoncera dans une crise durable et la paralysie, avec toutes les conséquences politiques et économiques que ceci aura pour nous tous.
Nous n’avons donc qu’un choix possible : celui du succès et notre responsabilité à tous, au cours de ces 2 jours, est de transformer la crise en opportunité. Ces conditions existent.
A ceux qui craignent l’avenir, qui redoutent le changement, nous devons démontrer que l’Europe fonctionne.
Un accord sur les perspectives financières pourra nous donner cette occasion.
C’est pourquoi, j’en appelle à tous les Chefs d’Etat et de gouvernements pour que malgré les difficultés qui restent à résoudre, tous contribuent à trouver une solution.
Ce n’est pas le moment de jouer la carte nationale. C’est le moment de défendre l’intérêt national mais de le faire dans un esprit européen et avoir le courage de le dire à nos concitoyens. Il n’y aura pas de meilleure occasion. Nous avons devant nous un rendez-vous historique que nous ne pouvons pas manquer. Je suis confiant. Je crois qu’un accord est à notre portée.
Voyons tout d’abord les questions financières. Je crois que l’on pourra dire par rapport à la dernière proposition que nous avons vu, que nous sommes sur la bonne voie en ce qui concerne la cohésion et plusieurs autres éléments.
Sur la cohésion, j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, j’estime que le principe de solidarité entre les Etats membres, qui est au cœur de notre projet européen, aurait justifié un niveau plus élevé de soutien financier. Cependant, les propositions de la Présidence dans ce domaine représentent une injection substantielle de ressources financières nouvelles dans les régions les moins développées de l’Europe, en particulier dans les nouveaux Etats membres.
Ceci contribuera à stimuler la croissance dans l’ensemble de l’Union. Donc, c’est bon en matière de solidarité et c’est bon en matière d’ambition pour la croissance de l’Europe.
En ce qui concerne les ressources propres, nous devons trouver une solution au problème du chèque britannique. La situation économique au Royaume-Uni a radicalement changé depuis le jour où ce chèque a été accordé. Nous ne sommes plus en 1984. La proportion de dépenses agricoles dans le budget total a fortement diminué. Certes, il y a des doutes et des différences, concernant la proportion globale de dépenses agricoles par rapport au budget mais il y a eu l’accord politique des chefs d’Etat et de gouvernements. De plus, il ne serait pas acceptable que les coûts de l’élargissement ne soient pas équitablement répartis entre tous les Etats membres. Ceci est une des clés futurs de l’accord.
Et puisque chacun doit faire un effort, je ne trouverais pas anormal que, par exemple, les dépenses agricoles pour la Roumanie et la Bulgarie soient financées dans l’enveloppe telle qu’elle est prévue à l’heure actuelle. Tout le monde doit bouger. Tout le monde doit faire un effort de compromis. Il ne faut pas voir ce Conseil européen en terme de gagnants et de perdants. Il faut que tous donnent quelque chose pour que tous puissent sortir gagnants de ce Conseil européen.
Pour le reste, la Commission a, comme vous le savez, fait des propositions ambitieuses dans les domaines porteurs de développement pour l’avenir. Il faut penser à l’agriculture, il faut penser à la cohésion mais il nous faut aussi penser aux politiques spécifiquement tournées vers l’avenir notamment en terme de recherche, connaissance, éducation, réseaux qui sont des éléments essentiels de notre développement économique futur. Ils nous permettront de combler l’écart qui nous sépare des Etats-Unis, du Japon mais bientôt également d’autres pôles économiques tels que la Chine et de l’Inde.
C’est vrai, nous acceptons – et la Commission a aujourd’hui eu une discussion très approfondie en ce domaine - que les augmentations proposées ne sont pas négligeables. Mais, elles ne sont pas suffisantes pour injecter les ressources indispensables pour atteindre les objectifs que nous, Européens dans son ensemble, nous nous sommes fixés. Les ambitions, les projets que le Conseil européen a lui-même fixé, ne seront pas atteints avec ce niveau d’investissement dans le chapitre qui tient à la compétitivité, à l’agenda de Lisbonne. Les 3% de PNB pour la recherche, les 3 millions d’étudiants Erasmus ou encore les 30 projets prioritaires dans le domaine des transports seront en danger avec ce niveau d’investissement. Si les chiffres à présent sur la table, soit la dernière negociating box – je n’ai pas encore vu celle qui est présentée aujourd’hui - étaient retenus, la Commission devra faire des choix extrêmement difficiles. Si elle doit le faire, elle le fera dans l’esprit des priorités qui doivent être les nôtres pour l’avenir mais nous serons tenus d’expliquer exactement aux Européens les choix que nous devrons faire et quels seront les domaines sacrifiés.
Sur le chapitre des relations extérieures, la situation n’est guère meilleure et même préoccupante. Nous avons des engagements politiques majeurs, en particulier dans le domaine du développement, et il est difficile de voir comment, avec les chiffres actuels, nous pourrions les respecter.
Cependant, la Commission est pleinement consciente de ce moment crucial pour l’Europe. Nous sommes convaincus qu’il est préférable d’avoir un accord même s’il n’est pas parfait, que de ne pas en avoir. La Commission est donc favorable à ce qu’un accord intervienne à l’occasion de ce sommet. La Commission y est non seulement favorable, mais elle estime qu’une absence d’accord serait bien pire qu’un accord pour lequel chacun aura à faire des sacrifices. C’est un impératif politique. De la même façon que nous demandons aux Etats membres de faire un effort de compromis, nous Commission européenne, nous sommes prêts à faire un compromis pour obtenir cette décision.
Toutefois, il nous semble que se mettre d’accord pour une période de sept années alors que les circonstances restent incertaines, nous mettrait à la merci d’événements futurs auxquels nous ne serions peut-être pas en mesure de faire face. C’est pourquoi, la Commission souhaite que le Conseil européen envisage une clause de révision par exemple à échéance lors du Conseil européen de fin 2008. Ceci nous permettrait de vérifier que nos ressources nous permettent de relever les défis qui sont les nôtres et, si nécessaire, de changer de cap.
En effet, compte tenu des effets de la mondialisation, toutes nos ambitions pourraient connaître une réalité différente d’ici quelques années.
Venons-en à la Constitution. Ce sera notre discussion, certainement la plus politique. Difficile aussi, parce que nous sommes dans une situation dans laquelle dix Etats membres ont ratifié, deux se sont prononcé contre et treize doivent encore avoir l’opportunité, s’ils le veulent, de se prononcer alors que certains se demandent si c’est toujours utile de le faire.
Pour autant, les raisons pour lesquelles nous avions élaboré cette constitution restent toujours valables : meilleure efficacité des institutions, plus de démocratie, rapprochement avec les citoyens. Nous devons trouver des moyens de donner une chance à cette constitution européenne. Alors, que faire?
Nous devons éviter deux positions extrêmes qui consisteraient soit à dire que nous abandonnons la Constitution, soit à faire comme si rien ne s’était passé. On ne peut pas dire que nous abandonnons la Constitution car on ne connaît pas d’alternative qui soit meilleure et, soyons franc, une nouvelle négociation n’est pas envisageable. D’autre part, nous devons aussi montrer du respect à l’égard des Etats qui ont déjà ratifiés la Constitution. Nous ne pouvons pas prétendre que rien ne s’est passé, comme si nous n’écoutions pas les votes importants exprimés en France et aux Pays-Bas, comme si ces votes n’avaient pas un effet de contamination. C’est pourquoi, en évitant ces deux positions extrêmes, qui à notre avis sont des positions négatives, j’appelle au Conseil européen pour qu’il trouve une solution entre ces deux positions.
Vu la complexité de la situation et la contamination probable des deux referenda négatifs, la prudence recommande qu’on envisage collectivement une période de réflexion, une pause. C’est sans doute encore le meilleur moyen de sauver la constitution. Cette pause doit être mise à profit pour approfondir la réflexion.
Pourquoi ne pas le dire, la prudence, c’est une grande vertu en politique. Quand nous n’avons pas une solution magique, la meilleure chose est de recourir à la réflexion et de l’assumer pleinement.
Mais attention, le fait qu’on se donne éventuellement une pause, une période de réflexion, ce qui veut dire également une période de ratification supplémentaire, cela ne veut pas dire que l’Union s’arrête, que l’Union est bloquée, que l’Europe tombe dans la paralysie. Entre temps, nous ne devons pas nous laisser enfermer dans cette impasse constitutionnelle. Ce n’est pas ce que les Européens attendent de nous.
Il y a une vie au-delà des questions institutionnelles, au-delà de la ratification. Par contre, ce qui importe, c’est que nous puissions démontrer que nous avons entendu le message des citoyens et que ça n’est pas être « business as usual ».
La Commission a donc décidé aujourd’hui de proposer aux Etats-membres :
- La Commission va préparer une feuille de route stratégique sur l’avenir de l’Union européenne dans les années à venir. Nous devons être en mesure de proposer aux citoyens une réponse à leurs interrogations légitimes sur ce que seront nos frontières futures, ce que doit être le modèle social européen, quel type de croissance nous voulons pour l’Europe et quel type de protection nous voulons lui assurer. Et cette réflexion, nous ne devons pas la mener uniquement depuis Bruxelles, nous devons engager le débat européen en Europe, c'est-à-dire dans chacun des Etats membres.
Nous devons être conscients que cette réflexion peut prendre du temps et qu’elle n’engage pas simplement les responsables politiques. Elle engage certes la Commission, les institutions européennes, les gouvernements nationaux, les parlements nationaux, mais également les forces vives, les partenaires sociaux, l’opinion publique dans son ensemble. Cela va prendre un certain temps. Il n’y a aura pas de « quick fix » mais c’est le moment d’avoir cette clarification.
- Je propose également que la Commission précise ses priorités dans les prochains mois pour cibler d’une manière encore plus nette les besoins exprimés par les citoyens : l’emploi, la croissance, la prospérité, la sécurité dans un cadre de solidarité européen.
- Je propose enfin, que nous nous lancions collectivement dans une opération d’explication majeure sur les questions où des doutes ont pu surgir : l’euro, l’élargissement, le marché intérieur. La Commission avait clairement indiqué que son objectif – que nous proposons pour toutes les institutions européennes et pour les Etats membres - était de reconnecter l’Europe à ces citoyens. Il nous appartient maintenant, et ceci dès la rentrée, de traduire de manière concrète ses intentions. Cette tâche, j’insiste, ne doit en aucun cas être l’exclusivité des Institutions européennes. Tous les gouvernements ont intérêt à ce que ce fossé de compréhension soit comblé le plus rapidement possible.
Les décisions qui seront prises, quelles qu’elles soient, doivent l’être par consensus, comme une expression de responsabilité politique des gouvernants européens à l’égard de leurs citoyens qui ne se retrouvent plus vraiment dans cette Europe qu’on a construit trop vite, parfois sans assez d’explication, parfois avec une grande distance par rapport à leurs attentes. En un mot, nous devons tous collectivement faire preuve de maturité et de responsabilité politique. C’est cela que la Commission et moi-même, nous attendons du prochain Conseil européen.