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Date :  2005-04-22
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Helsinki, jusqu’au bout des mots…

Source :  Tanella Boni


Il faut trouver les mots pour dire ce voyage qui nous a menés au bout du monde. Dans la neige et le grand froid. Au départ, je n’ai pas cru à ce projet. Mais je me disais que ce n’était pas la première fois que je participais à un atelier de traduction. A Berlin, cela c’était passé dans des conditions idéales ou presque : accueil chaleureux, un hôtel convenable, des moyens de transport selon la volonté de chacun. Les sponsors y avaient mis le prix. Et l’ambiance était très conviviale. Je n’étais pas démunie de tout face à l’autre : j’étais moi-même. Et je n’avais pas oublié les bribes de cette langue à laquelle je devais mesurer mes propres ressources intérieures, le temps d’un exercice. L’aventure s’est terminée par un acte concret : un livre, dans les mois qui ont suivi. Cette fois-ci, la langue d’accueil était d’abord la grande inconnue.
Un saut dans l’inconnu ? Il fallait vraiment aimer l’aventure !

Car l’atelier de traduction de poésie auquel nous avons participé à Helsinki, en février, relevait peut-être de l’aventure et le mot est bien faible ! Mais nous sommes des poètes et nous nous laissons, de temps en temps, guider par un je- ne- sais- quoi, même si la raison tente de nous dire que nous avons tort.

Il serait préférable que, de temps en temps, les invités à un atelier de ce genre, les premiers concernés, soient mis au parfum des étapes essentielles du déroulement du projet, des méthodes qui seront utilisées, des résultats attendus et de tous les détails pratiques afin qu’ils puissent faire le choix, en connaissance de cause, de participer ou non à l’entreprise. Parfois, invités et organisateurs se font confiance. Des courriels envoyés çà et là suffisent à mobiliser les énergies, à donner corps à ce qui, au départ, n’était qu’une simple idée…

De Bamako à Helsinki, il y a plusieurs pas à franchir. Je n’étais pas sortie du souvenir du soleil, de ce débat sur le rôle de l’humanitaire dans un monde qui brûle de toutes parts, de ce cratère du monde qui nous happe à notre insu ou presque, de cette autorité et de ce pouvoir dont il a fallu parler devant un public savant. Ce public qui cherche toujours et décortique idées et concepts si évidents pour tous et pourtant si étonnants à l’analyse. Puis il me fallait revenir à la poésie, lieu/temps plus calme ? Et il me fallait traverser l’ombre du froid !

La terre lointaine, pour moi, c’était l’ombre du froid mais aussi les merveilles du Kalevala, cette culture autre dont je connaissais des bribes par quelques lectures. Et le pays aux mille lacs et l’image d’un animal nommé renne vivant dans la neige ! Quelque chose comme une carte postale…Et toute carte postale n’est qu’une image, capable de guider vers l’aventure, le rêve et l’évasion, mais aussi la désillusion, pourvu que cela se passe dans le meilleur des mondes.

A l’aéroport d’Helsinki, l’avion a du mal à atterrir, il est 14h30, l’après-midi, c’est un dimanche, en février. Il y a une tempête de neige. Un chasse-neige balaie la piste avant que l’avion ne puisse se poser comme un oiseau migrateur. Ce soir-là, je ne suis pas sortie. J’ai dû me contenter d’un sandwich aux légumes, comme dîner. Je n’ai pu voir la ville inconnue, je croyais avoir rendez-vous avec elle et je ne l’ai pas rencontrée. Elle était recouverte d’une fine couche de poussière blanche et le sol et toutes les eaux étaient gelés. Je devais m’habituer à sa présence, moi qui avais le cœur si lourd et le fardeau d’une guerre à porter. Là-bas, sous le soleil, le pays est toujours divisé pour de vrai, dans les esprits et dans les cœurs qui meurent et, çà et là, la seule chose qui intéresse tous les experts en tragédie humaine et tous les bien-pensants c’est l’attitude de la France, comme si on se réveillait un beau matin d’un sommeil dogmatique en se disant : tiens ! Elle est là ? Et pourquoi est-elle donc toujours là ? Comme si elle, disparue, tous les problèmes se règlent, en un clin d’œil, coup de baguette magique oblige ! Comme si nous avions perdu pour de bon la mémoire des événements et le cours de l’histoire qui, de temps en temps, se rappellent à nous… Quand j’y pense…non ! Le monde ne tourne pas rond…

Voilà pourquoi il faut revenir à la poésie, cette arme incomparable qui n’a qu’un seul but : nous rendre plus humains, même si, parfois, elle peut prendre le chemin de l’aventure ou déchaîner des passions.

Lundi matin, un poète est affalé dans un fauteuil. Je suis surprise par sa tristesse. Il a manqué son premier vol et le second est arrivé en pleine nuit. Il n’ y avait personne pour l’accueillir. Il a attendu un taxi et n’a pu rejoindre l’hôtel qu’à deux heures du matin ! L’aventure commençait avec quelques couacs… et nous n’étions pas au bout de nos peines. Les conditions de l’accueil, à tous points de vue, y compris l’hôtel, nous disent, en clair, à quoi il faut s’attendre…

Mardi, le groupe se met au travail. Nous rencontrons les autres poètes. La veille au soir, dans un restaurant où les sauces grasses et lourdes étaient à l’honneur, c’était une autre ambiance. Le matin, la réalité est toute autre. Il fallait aller de l’avant. Des groupes se forment, des binômes, comme dans une classe ! Cet atelier de traduction a ceci de particulier qu’il y a d’un côté des poètes qui sont aussi des traducteurs et, de l’autre des poètes, avec leurs mots de poètes. Mais rien ne m’impressionnait outre mesure. J’attendais quelque goutte d’eau capable de fertiliser mon imagination. Je cherchais autre chose. A la limite, l’ennui commençait à me gagner. Nous nous sommes rendus compte, qu’en fait de « traduction », notre rôle consistait à polir, dans un français acceptable, les poèmes que nos hôtes avaient traduits mot à mot ou presque. Et, de toute évidence, nous n’avions aucun regard sur nos propres poèmes qu’ils traduisaient en finnois ou en suédois.

Je cherchais autre chose. Un courant d’air, peut-être…

La forêt. J’avais envie de voir la forêt, celle si vantée, celle aux mille lacs. Me replonger dans le vert si vert, si intense de la nature ! Ce mercredi-là, en début d’après-midi, nous avons pris le car, en quelques minutes, nous étions hors de la ville, si blanche, couverte de neige, comme la forêt, que je n’ai pas reconnue. La forêt poudreuse…Vous avez pris des photos, joué à la boule de neige, un peu de bonne humeur, dans le froid.

Jeudi, dans un centre culturel, j’apprends que les communautés étrangères sont nombreuses dans ce pays. Des Africains installés là avec leurs familles, et des migrants venant de l’Europe de l’Est. Cette maison est la leur, ils peuvent s’y rencontrer et échanger leurs idées.

Il y a là un restaurant marocain, un peu d’épices et moins de sauces grasses !

Puis une île. Ce n’était pas faire l’école buissonnière. Pour moi, l’atelier de traduction c’était aussi cela.

Sur l’île, un homme nous a suivis partout. Un homme mystérieux. Un vrai personnage de roman. Sur la rive, dans l’attente de la chaloupe, quelqu’un lui a dit qu’il pouvait me parler en allemand. Il m’a demandé d’où je venais. Nous avons échangé quelques mots. La chaloupe est arrivée, je ne sais par quel chemin. La mer était toute gelée. J’ai compris qu’à chaque traversée, tout bateau cassait la mer et construisait son propre chemin. J’ai appris que, pendant le temps où la mer est recouverte de cette épaisse couche de glace, les poissons sont bien au chaud, sous les icebergs. C’est le meilleur temps pour eux…

Et, à l’arrivée sur cette île tout de blanc vêtue, l’homme énigmatique nous a suivis de près pendant quelques minutes. Puis il a disparu.

Seul un chat bien vivant était courbé dans la neige, son manteau de fourrure tigré relevé sur le dos, les yeux bien ouverts. Je me suis approchée de lui, j’ai essayé de lui parler. Vous avez tous ri de moi. Mais le chat m’a répondu dans ce grand froid, dans une langue que j’ai appris à connaître. Il me paraissait être la seule trace de vie, dehors, à quatre heures de l’après-midi, sur une île dormant à la lueur de la neige en plein jour.

Après le tour de l’île, avant le retour sur le continent, nous avons fait une halte dans ce café où il y avait une exposition de peinture. L’homme mystérieux était là pendant que nous faisions le tour de l’expo. Puis, sur une table, déposé dans une assiette transparente, un énorme croissant. Un croissant en plastique, pensai-je. L’homme s’est assis à cette table. Il ne nous regardait pas. Je pouvais le voir de profil. Peu à peu, comme par enchantement, le croissant a disparu et le verre de vin était vide. Puis la chaloupe du retour est arrivée. L’homme était encore là, il est revenu en même temps que nous. Pourtant, j’ai cru comprendre, comme dans un rêve, qu’il habitait là, dans l’île…

Vendredi, quelques photos dans la neige. Du noir sur du blanc ? Oui, pour montrer la réussite de cette entreprise en noir et blanc ?

De temps en temps, je me pose la question de savoir si nous ne servons pas d’alibi à toutes ces bonnes intentions qui veulent développer des échanges culturels avec des pays du Sud. Peut-être l’idée de ce projet a-t-elle germé à partir du moment où un centre culturel finlandais a ouvert ses portes, je ne sais par quel miracle, dans un lieu inédit, sur une plage de l’océan Atlantique, du côté du golfe du Bénin. J’aime bien les anecdotes et je n’ai pas retenu l’histoire de la création de ce centre. Il faudrait que je cherche à savoir.

Dans un restaurant, un poète bien connu s’est assis en face de moi. Il a commencé à me parler, plongé dans son verre, en un langage décousu. J’ai fait semblant de ne pas l’entendre. Ses mots commençaient à être longs et pesants, depuis des jours, et je n’étais pas la seule à en souffrir. Il s’est déplacé d’une chaise à l’autre. Il a continué à me parler. Dans mon silence, il a dû lire quelques mots écrits sur mon front. Cela faisait aussi partie de l’atelier de traduction. Car, parfois, il y a des gens qu’on a envie de découper en menus morceaux même si ce sont des célébrités !

L’après-midi, les voix sont en fête. Lectures. Il y a du monde venu de la ville. L’atelier s’ouvre enfin au public. On espère qu’il portera ses fruits, qu’il y aura une suite, dans un pays africain, disent les organisateurs. Les humains que nous sommes ont pu sans doute se parler, par-delà l’intraduisible. Après ce repas partagé, pour une fois sans sauce grasse (il était tout de même temps !), à base de crudités et de saumon fumé, l’atelier ferme ses portes. Mais nous sommes encore là.

Quelque chose a manqué, nous n’avons pas fait le point. Comment dégager des perspectives sans mettre le doigt sur les lignes de force et les faiblesses d’un projet en cours de réalisation ?

Samedi, chacun vaque à ses propres occupations, livré à sa solitude de poète. Nos hôtes ont disparu. Je vais visiter Kiasma, le Musée d’art contemporain. Il n’y a rien de neuf sous le soleil, même par temps de grand froid. Du déjà vu ailleurs. Bien-pensants s’abstenir. L’humeur du monde est à couper au couteau comme le montrent, avec audace, peintres, vidéastes et sculpteurs…


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