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Date :  2001-07-25
langue :  Français
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Transitions

Transitions

Source :  Rada Iveković


"Transition" est un mot revenu en usage après la chute du mur de Berlin pour désigner ce que l'on nomme habituellement aujourd’hui "la transition post-communiste". Avant celle-ci, le terme fut d’abord utilisé pour désigner les transitions latino-américaines de dictatures vers des démocraties.

Ce mot ne correspond pas à un concept bien défini, et il intègre une certaine dose de satisfaction quant à la restauration du capitalisme occidental. Par exemple, il faudrait plutôt parler d'intégration européenne dans le contexte de la globalisation, que seulement de «transition post-communiste», une expression restrictive, pour plusieurs raisons. Elle est restrictive, non seulement parce que le Mur est tombé des deux côtés, et pas d'un seul, mais aussi parce que toute la dichotomie Est/Ouest – Communisme/Capitalisme de la Guerre Froide en a pris un sérieux coup. Ce n’est pas comme si le communisme seul avait échoué: c’est tout un système de vases communicants et son équilibre qui ont craqué. Le terme de "transition" est également limitatif parce que l'intégration de l'Europe se réalise elle-même dans un cadre plus large, qui est «la globalisation» dans son ensemble, aussi bien celle de Davos que celle de Porto Alegre. La transition post-coloniale ressemble à la transition "post-communiste" jusqu'à un certain point, et le développement laborieux du Tiers monde s’apparente de plus en plus à ce que nous trouvons dans certains pays des Balkans et en l'Europe de l'Est, si ce n’est dans tous les pays de l'Europe Centrale et de l'Europe de l'Est.

En quoi ces deux types de transition peuvent-ils être comparés? Ils peuvent l'être précisément après et depuis la Guerre Froide, qui ne constitue pas seulement un phénomène et une démarcation européens (la Guerre Froide fut beaucoup plus intense et loin d'être "froide" dans le Tiers monde). La fin de la Guerre Froide coïncide, à la fois par sa forme et par sa structure, avec une nouvelle configuration géopolitique et économique du néolibéralisme globalisé, difficile à rattraper aussi bien pour les pays en développement du Tiers monde que pour certains ex-pays socialistes (puisque c'est maintenant ce qu'on leur demande). En fait, la transition post-socialiste ne ressemble pas à la première phase du post-colonialisme, dans laquelle le nationalisme était un agent de libération qui fut légitimé après la seconde Guerre Mondiale, tout au long des années soixante, et plus ou moins jusqu'à la même année 1989, qui fut également décisive pour l'Europe.

Les mouvements de plus grande intégration (comme celui de l'Europe) et de globalisation produisent de plus en plus de désintégration, d'ethnicisation, de "fondamentalismes identitaires". Et c'est ce qui fait apparaître une similitude frappante entre, par exemple, les processus internes du Guatemala aujourd’hui, et les tensions à l’intérieur de, voire les guerres entre certaines ethnocraties d'Europe de l'Est.

En même temps, les dérives identitaires, qui ont reçu une nouvelle impulsion dans le même Guatemala, ne furent pas un véritable problème tout au long de ses 36 années de guerre civile, mais elles sont apparues depuis la réintégration du Guatemala dans la communauté internationale. Avant cette dernière phase de globalisation, qui impose un nouveau discours «ethnicisé» et des processus de fragmentation socio-politique communautaire dans le monde entier, les conflits du Guatemala étaient exprimés en termes de classes, d’inégalités économiques, de luttes pour des terres, etc. Ce n’est pas que les conflits soient devenus soudainement ethniques par eux-mêmes, mais c'est la terminologie qui a changé avec la globalisation. La période de la Guerre Froide a été une époque d'extrêmes violence d ' Etat et violence militaire, et, de fait, une véritable guerre civile, dirigée contre la population entière du Guatemala par l’Etat et l’armée. Cela n'est certainement pas comparable à l'histoire des pays socialistes (bien que l'histoire post-coloniale dans les pays décolonisés le soit tout à fait), mais la suite de cette histoire est bien comparable, en raison de la nouvelle «uniformisation».

La Guerre froide fut aussi la stricte division de deux blocs. La nouvelle configuration du monde depuis la fin de la Guerre froide favorise maintenant une intégration planétaire du capital, accompagnée d’une fragmentation aux niveaux local, social et géopolitique. Ainsi, en Inde, le nationalisme de la libération anti-coloniale a légitimé un projet laïque de construction de la nation. Avec son érosion qui est à l’échelle globale contemporaine de la fin de la Guerre froide, et localement avec la libéralisation de l'économie menée par l'Etat, divers projets ethniques, communautaires, religieux et parfois fondamentalistes ont émergé. Ils ont une topologie semblable à ceux qui se sont formé en Europe (y compris en Europe de l'Ouest, où les particularismes n'ont pas été toujours intégrés selon un heureux dosage régional et transnational). La plupart des pays européens peuvent offrir de tels exemples, le cas italien étant particulièrement remarquable. La complémentarité s’étend et se poursuit après la Guerre froide. Mais on ne perdra pas de vue une plus large et encore plus douteuse intégration que celle de l'Europe actuelle – à savoir précisément celle de «la globalisation».

La division d'après la Deuxième Guerre mondiale rapproche le projet socialiste et celui du premier Etat post-colonial (avec, comme exemple emblématique, l'Inde). Depuis, nous savons que tous deux ont échoué, de la même manière que l'Etat-providence. Ces trois formes ont échoué dans le même domaine – celui du social et du bien-être des citoyens. Or, c’est précisément ce domaine qui est producteur du politique. Et, sans aucun doute, les échecs sont également politiques. Le projet socialiste et le post-colonialisme ont eu quelques caractéristiques, ou, au moins, quelques idéaux (sociaux) communs. Cette période débute avec les partitions de l'Inde et du Pakistan, et elle finit par la partition de l'ex-Yougoslavie. Dans les deux cas de cette première phase – socialisme et post-colonialisme – nous avons affaire à des formes de la modernité, mais tout cela se termine, en particulier à cause du manque de véritable démocratisation.

Dans une seconde phase (après 1989), le post-socialisme et le post-colonialisme retrouvent des caractéristiques semblables avec encore plus de fragmentation, de nationalismes, de fondamentalismes religieux, etc., par lesquels les oligarchies, dans les deux cas, essaient de se préserver, de se donner un nouveau souffle et de négocier de nouvelles hégémonies. Tout ceci au sein d'un processus singulier de globalisation mondiale qui, à l'heure actuelle, se matérialise, d'un côté, par une intégration globalisante, et, de l'autre côté, par une fragmentation identitaire, lesquelles sont, en réalité, les deux facettes d’un même phénomène.

En ce qui concerne le post-socialisme, les partitions apparaissent au début de la deuxième phase, qui est aussi celle d’une dé-légitimation du projet socialiste. Le post-socialisme ne peut débuter que par des ethnocraties et un pouvoir «centriste» ou de droite. Il a abandonné en bonne part son projet social d’Etat-providence. Parallèlement, l'érosion du projet laïque de la nation est le lot d’un post-colonialisme secoué par de violents mouvements identitaires (nationalismes, etc.), et/ou également confronté aux ethnocraties. L'érosion du projet laïque ici correspond à l'érosion du mouvement social là-bas.

Les appels à la reconnaissance ethnique sont maintenant partout intégrés, d’une façon formelle, dans un projet associant droits de l'homme et démocratie (libérale), mais seulement avec insistance dans des zones du Tiers monde et de l'ex-bloc de l'Est.

Ainsi, toutes deux, la transition post-coloniale (plus ancienne, mais aussi plus désabusée) et la post-socialiste (plus récente), sont des transitions capitalistes dont on suppose qu’elles finiront par converger.


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