Ref. :  000013539
Date :  2004-08-02
langue :  Français
Page d'accueil / Ensemble du site
fr / es / de / po / en

Apprendre par mimésis

Mimésis

Source :  Christoph Wulf


L’apprentissage culturel est essentiellement un apprentissage mimétique, ce qui signifie que la diversité culturelle souhaitée dans le cadre de la mondialisation critique est également le but et le résultat d’un apprentissage mimétique. De nombreux processus de formation et de développement de soi se rapportant à des individus, à des communautés sociales, à des biens culturels, reposent sur une référence mimétique qui en garantit le caractère vivant. L’apprentissage mimétique est un apprentissage sensible fondé sur le corps permettant d’acquérir des images, des schémas, des mouvements et des actions pratiques et se déroulant en majeure partie de manière inconsciente, atteignant par là des effets durables qui entrent en jeu dans tous les domaines de la formation culturelle (Gebauer/Wulf 2004a, 2004b).

Les processus mimétiques se rapportent principalement aux autres individus. Ils permettent aux nouveau-nés de se référer aux individus avec lesquels ils vivent : parents, frères et sœurs plus âgés, autres membres de la famille et amis. Ils essayent de se faire leur semblable en répondant par exemple à quelqu’un qui sourit par un sourire. Cependant, ils initient également des réactions correspondantes auprès des adultes en mettant en pratique des facultés apprises. C’est dans ces processus précoces d’échange que les enfants en bas âge apprennent les sentiments. Ils apprennent à les créer en eux en fonction d’autres personnes et à les provoquer chez d’autres. Leur cerveau se développe dans cet échange avec le monde qui les entoure, certaines de leurs capacités sont approfondies et d’autres en revanche s’atrophient (Singer 2001 ; Changeux 2002). Les conditions culturelles des commencements de la vie s’inscrivent dans le cerveau et le corps des enfants. Quiconque n’a pas appris en bas âge à voir, à écouter ou à parler ne pourra plus jamais le faire. Les références mimétiques des nourrissons et des petits enfants ne permettent aucune séparation sujet / objet, laquelle sera le résultat d’évolutions n’intervenant que plus tard. La perception du monde est tout d’abord « magique ». Certes les individus, mais aussi les choses sont perçues comme vivantes. Cette faculté faisant appréhender le monde dans des correspondances, qui perd sa signification avec le développement de la rationalité, permet à l'individu d'approfondir ses capacités à transformer le monde extérieur en images par des processus mimétiques et à les introduire dans son monde intérieur d'images. (Agacinski et alii 1972 ; Goodman 1978 ; Taussig 1993).

Les processus mimétiques se rapportent non seulement à la manière de se comporter avec les produits de la culture, mais s’appliquent également aux rapports sociaux, aux formes d’action, aux mises en scène et aux représentations du social. Il s’agit de formes particulières de savoir pratique, apprises de manière mimétique dans des processus sensibles et corporels, et permettant d’agir de manière compétente dans des institutions et des organisations. Le savoir rituel représente un domaine important de ce savoir pratique social : il permet aux institutions de s’inscrire dans les corps des individus et garantit une certaine orientation dans les contextes de situations sociales. Des images, des schémas et des mouvements sont appris dans des processus mimétiques qui font que l’individu est en mesure d’agir. Dans la mesure où les processus mimétiques se rapportent à des produits, à des scènes, à des arrangements et à des représentations historiques et culturelles, ils font partie des processus importants dans lesquels la culture est transmise aux générations futures. Sans les capacités mimétiques, l’apprentissage de la culture serait impossible, tout comme le « double héritage » qui est la transmission des biens culturels, apparaissant en second lieu chez les hommes après l’hérédité biologique, et qui permet par exemple une modification et un approfondissement de la culture (Wulf 2004, 2004a).

Le rapport mimétique au monde est ambivalent, pluridimensionnel et peut être analysé à l’aide de méthodes ethnographiques. Les expériences mimétiques sont accompagnées par celles de dissolution de la subjectivité dans des processus de contagion libérant le chaos et la violence. Dans ces processus, on trouve aussi la confrontation avec le pouvoir et la domination, la violence et l’oppression, qui font partie de chaque culture et sont régulièrement réinjectés par le biais de processus mimétiques. Le circulus vitiosus de la violence est un exemple de la structure mimétique des phénomènes violents (Girard 1973, 1982). Néanmoins, les processus mimétiques sont également liés aux espoirs de formes et d’expériences d’une vie supérieure, recherchées et trouvées dans les « expériences vivantes » (Adorno). L’assimilation au monde permet à l’homme de dépasser l’égocentrisme, le logocentrisme et l’ethnocentrisme et de s’ouvrir aux expériences de l’Autre (Wulf 1999, 2002, 2004).

Références

S. Agacinski, J. Derrida, S. Kofman et al : Mimésis des Articulations, Paris, Flammarion 1972.

J.-P. Cangeux : L’homme de vérité, Paris : Odile Jacob 2002.

G. Gebauer, Ch. Wulf : Mimésis. Art, culture, société, Paris, Cerf 2004a.

G. Gebauer, Ch. Wulf : Jeux, rituels, gestes. Les fondements mimétiques de l’action sociale, Paris, Anthropos 2004b.

N. Goodman : Ways of Worldmaking, Indianapolis, Hackett Publishing Company 1978

R. Girard : La violence et le sacré, Paris : Bernard Grasset 1973.

R Girard : Le bouc émissaire, Paris : Bernard Grasset 1982.

W. Singer : Der Beobachter im Gehirn, Frankfurt/M. 2001.

M. Taussig : Mimesis and Alterity, New York, Routledge 1993.

Ch. Wulf (éd.) : Anthropologie de l’éducation, Paris : L’Harmattan 1999.

Ch. Wulf (éd.) : Traité d’anthropologie historique. Philosophies, Histoires, Cultures, Paris : L’Harmattan 2002.

Ch. Wulf : Anthropologie. Geschichte, Kultur, Philosophie, Reinbek 2004.

Ch. Wulf, et al : Penser les pratiques sociales comme rituels. Ethnographie et genèse de communautés, Paris : L’Harmattan 2004.

Traduit de l’allemand par Nathalie Heyblom



(Sur la même problématique ou des thèmes connexes, nous recommandons l'article suivant en allemand du même auteur : Mimetische Grundlagen kulturellen Lernens)


Notez ce document
 
 
 
Moyenne des 121 opinions 
Note 2.54 / 4 MoyenMoyenMoyenMoyen
RECHERCHE
Mots-clés   go
dans 
Traduire cette page Traduire par Google Translate
Partager

Share on Facebook
FACEBOOK
Partager sur Twitter
TWITTER
Share on Google+Google + Share on LinkedInLinkedIn
Partager sur MessengerMessenger Partager sur BloggerBlogger