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Date :  2004-05-25
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Politiques culturelles européennes

Politiques culturelles


Quelle que soit l’organisation institutionnelle – compétences exclusives des Länder allemands sur l’éducation et la culture, « communautarisation » belge, Etat national doté de fonctions législatives et exécutives comme en France ou large autonomie des régions en Espagne et au Royaume-Uni —, tout ou partie des politiques culturelles démocratiques a fait l’objet d’une légitimation de l’intervention publique en évolution constante, et selon des phénomènes asynchrones : ainsi l’Angleterre s’est-elle penchée tardivement sur le sort des « industries créatives », selon un champ de désignation plus large que l’attention française aux industries culturelles. De même la notion de « droits culturels » pour tous, concept au cœur de la social-démocratie suédoise, a-t-elle fait son chemin plus tardivement dans des pays comme l’Allemagne ou la France. En outre, la double définition de la culture – anthropologique et artistique – chère aux pays anglo-saxons et à certains pays nordiques, s’est répandue au Sud de l’Europe sous les espèces de la « démocratie culturelle ». Enfin, la question de savoir si les politiques linguistiques sont l’un des socles de la politique culturelle a reçu une réponse affirmative en Belgique, en Finlande, en Italie, en Autriche et au Royaume-Uni, alors qu’elle a peu fait partie des priorités françaises. Beaucoup d’Etats européens ont forgé leurs outils de politique culturelle dans le cadre national, sur la base d’un « construit identitaire » ou imaginaire (Benedict Anderson, 1983) : un territoire, une langue, une culture. Essentiellement dirigée vers la sauvegarde ou la promotion d’une identité nationale perçue comme homogène, il ont souvent tardé à prendre acte de l’émergence de communautés diverses et d’imaginaires « diasporiques » ou transnationaux, pourtant présents dans leurs sociétés, depuis la fin de l’ère coloniale (Arjun Appadurai, 1996). En outre, l’émergence des régions en Espagne, le phénomène de devolution britannique ou la « communautarisation » belge ont tendu à fractionner l’espace culturel en communautés revendiquant leur propre homogénéité, plutôt que de favoriser la gestion de flux diversifiés, comme certaines grandes villes européennes ont su le faire. Sur ce point, la reconnaissance constitutionnelle des minorités en Pologne, Roumanie et Bulgarie ouvre des perspectives nouvelles, source d’enseignement pour l’Union européenne.


Des politiques culturelles à l’épreuve de la mondialisation

Dans le contexte mondial actuel, les Etats membres de l’Union européenne - anciens et nouveaux - se trouvent face à de redoutables défis : conjuguer leur héritage avec des dispositifs ouverts aux flux culturels et à leur circulation, devenir des balises pour des activités transnationales et diasporiques qui s’attardent un temps ou pour toujours sur leurs territoires ; assumer le caractère pluriculturel de leurs nations, tout en renforçant ce qui fait le meilleur des politiques culturelles européennes là où elles existent : une éducation artistique de bon niveau pour tous - tant formelle qu’informelle - une formation initiale et continue pour les artistes et professionnels de la culture, visant à leur rendre accessibles toutes les opportunités d’apprentissage et de « compagnonnage » à l‘échelle internationale, une réflexion approfondie sur les dispositifs propres à assurer la stabilité et le rayonnement des professions artistiques, un soutien approprié aux acteurs indépendants des industries culturelles, une remise à plat du système des droits d’auteur et droits voisins, devenu « une rente de situation » au profit de groupes monopolistiques, un système d’incitation plus décisif aux apports privés. En bref, ils doivent raisonner en termes de valeurs plus que d’identités.

Contrairement à ce que les Etats tendent eux-mêmes à accréditer, leur rôle n’est ni caduc ni subsidiaire dans ce domaine. Tant la coopération bilatérale que la coopération multilatérale entre Etats européens et Etats du monde peuvent générer des alliances fortes et inédites, comme en témoigne le Réseau international pour la Politique culturelle (RIPC) qui réunit des pays aussi différents que l’Afrique du Sud, le Canada, la Colombie et la Suède, pour ne citer que ces exemples. La Convention en préparation au sein de l’UNESCO doit conduire à doter la diversité culturelle tant d’un contenu que d’un référent juridique clair. Sur le plan international, les Etats européens doivent se départir de leurs habitudes diplomatiques pour déléguer à des individus, des associations, des réseaux culturels, la possibilité d’agir de manière indépendante sous leur bannière. C’est la clé de l’efficacité de la Fondation suisse Pro Helvetia ou de l’Institut suédois, pour ne citer que ces deux exemples. Enfin, ils doivent privilégier la création de fonds de mobilité, de communautés d’apprentissage et de travail plutôt que la multiplication d’événements aussi prestigieux que ponctuels. Ces remarques valent tout autant pour les collectivités territoriales. La notion même de diversité culturelle doit s’entendre comme la base d’un partage sans cesse accru des talents, des œuvres et des connaissances des divers continents. « La proximité monde caractérise nos sociétés dans lesquelles on assiste à une multiplication et accélération des confrontations et des rencontres », déclarait la commissaire d’exposition Catherine David à Mouvement en 2003. « Dans ce contexte, la redistribution des savoirs me semble constituer un enjeu fondamental. »

Si certains spécialistes postulent l’émergence d’une identité communautaire, il reste à souligner que les œuvres et les connaissances sont vouées à s’échapper sans cesse de leur lieu d’origine. Dans cette perspective, les frontières politiques de l’Europe ne coïncident pas et n’ont jamais coïncidé avec ses frontières artistiques, et sa capacité tant d’emprunt à toutes les cultures que d’influence sur celles-ci ne date pas d’hier. Cette Europe culturelle qui « n’a jamais tenu en place », selon l’expression de Massimo Cacciari, doit se déployer dans le dialogue avec le monde, à l’extérieur de ses frontières et en son sein. Assumant son altérité, l’Europe se trouvera en phase avec les imaginaires transnationaux de la planète et pourra leur soumettre les fondamentaux d’une expérience qui doit autant à la mobilisation des artistes et des professionnels qui les accompagnent, qu’aux responsables politiques et administratifs. Les Etats européens doivent enfin se départir d’une diplomatie doublée d’une arrière-pensée d’influence pour se mettre à l’écoute des professionnels et artistes des autres mondes. Les frottements artistiques et intellectuels mondiaux — notamment via Internet — se déroulent désormais dans toutes les directions. Pour jouer un rôle ambitieux dans cet ensemble, les Européens doivent admettre leur décentrement qui sera aussi, à terme, celui des Etats-Unis. La coopération éducative et universitaire et la promotion réciproque des langues représentent, dans cette perspective, des atouts décisifs. Comme le suggérait le dramaturge chilien Ramon Griffero dans Cassandre en 2002, il existe « un choc postcolonial, entre ceux qui pensent encore qu’ils sont le centre et l’origine de la culture, et ceux qui sont considérés comme la périphérie, mais savent qu’ils sont autonomes depuis longtemps ».


Eléments de bibliographie :

Cultural Policies in Europe, A compendium of basic facts end trends, ERICarts, Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1999

Jean-Pierre Wargnier, La mondialisation de la culture, La Découverte, Paris, 1999

Arjun Appadurai, Après le colonialisme, Les conséquences culturelles de la globalisation, Payot, Paris, 2001 pour la traduction française

Tony Bennett, Differing diversities, Cultural policy and cultural diversity, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2001

Zaki Laïdi, Un monde privé de sens, Arthème Fayard, Paris, 1994 ; réédité en 2001 par Hachette
Redefining Cultural Identities, Institute for International Relations, Culturelink, Zagreb, 2001

Benedict Anderson, L’imaginaire national, La Découverte, Paris, 2002 pour la traduction française.




(Le présent article est issu d'une étude longue du même auteur, que vous trouverez à l'adresse suivante : Politiques culturelles et mondialisation)


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