«Les entreprises en position dominante ont une responsabilité particulière sur le marché. Elles doivent veiller à ce que leur comportement ne fasse pas obstacle à une concurrence saine et loyale, ni ne porte préjudice aux consommateurs et à l'innovation» a déclaré Mario Monti, membre de la Commission européenne chargé de la concurrence. «La décision rendue ce jour rétablit les conditions d'une concurrence loyale sur les marchés concernés et pose des principes clairs quant au comportement que devra avoir, dorénavant, une entreprise jouissant d'un tel pouvoir sur le marché» a-t-il ajouté.
Après une enquête exhaustive et approfondie de plus de cinq ans, et après trois communications des griefs(4), la Commission a adopté aujourd'hui une décision par laquelle elle conclut à la violation, par l'entreprise de logiciels américaine Microsoft Corporation, des règles de concurrence consacrées par le traité CE (article 82), pour avoir abusé de son quasi-monopole(5) sur les systèmes d'exploitation pour PC.
Microsoft a abusé de son pouvoir de marché en limitant, de propos délibéré, l'interopérabilité entre les PC Windows et les serveurs de groupe de travail de ses concurrents, et en liant la vente de son lecteur Windows Media (WMP) avec Windows, son système d'exploitation présent sur la quasi-totalité des PC dans le monde.
Ce comportement illicite a permis à Microsoft d'acquérir une position dominante sur le marché des systèmes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail, produits logiciels qui sont au cœur des réseaux informatiques d'entreprises, et risque purement et simplement d'éliminer la concurrence sur ce marché. Par ailleurs, le comportement de Microsoft a affaibli, dans une très large mesure, la concurrence sur le marché des lecteurs multimédias.
Ces abus, qui n'ont pas cessé, constituent un frein à l'innovation et sont préjudiciables au jeu de la concurrence et aux consommateurs, qui ont, en définitive, moins de choix et doivent payer des prix plus élevés.
Comme il s'agit d'abus très graves et continus, commis depuis cinq ans et demi, la Commission a infligé à Microsoft une amende de 497.2 millions d'euros.
Mesures correctives
Afin de rétablir les conditions d'une concurrence loyale, la Commission a imposé les mesures correctives suivantes:
- En matière d'interopérabilité, Microsoft devra, dans un délai de 120 jours, divulguer une documentation complète et précise sur les interfaces de Windows, de manière à assurer une interopérabilité totale entre les serveurs de groupe de travail concurrents et les PC et serveurs sous Windows. Les concepteurs concurrents pourront ainsi mettre au point des produits capables d'opposer une concurrence à armes égales sur le marché des systèmes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail. Les informations ainsi divulguées devront être mises à jour chaque fois que Microsoft lancera sur le marché de nouvelles versions des produits en cause.
Dans la mesure où certaines informations concernées pourraient être couvertes par des droits de propriété intellectuelle valables dans l'Espace économique européen(6), Microsoft pourrait prétendre à une rémunération, qui doit demeurer raisonnable et non-discriminatoire. La divulgation ne concerne que la documentation sur les interfaces, et non le code source Windows, qui n'est pas nécessaire au développement de produits interopérables.
- En ce qui concerne les ventes liées, Microsoft devra, dans un délai de 90 jours, proposer aux équipementiers une version de son système d'exploitation Windows pour PC clients ne comprenant pas le lecteur WMP. Cette mesure corrective, qui met un terme aux ventes liées, ne signifie pas que les consommateurs obtiendront des PC et des systèmes d'exploitation sans lecteur multimédia. Les consommateurs achètent, pour la plupart, un PC à un équipementier qui a déjà groupé, pour leur compte, un système d'exploitation et un lecteur multimédia. L'effet de la mesure corrective ordonnée par la Commission sera que ces ventes groupées seront configurées en fonction des souhaits des consommateurs, et non de choix imposés par Microsoft.
Microsoft conserve le droit d'offrir une version de son système d'exploitation Windows pour PC équipée du lecteur WMP. Elle devra cependant s'abstenir de recourir à tout moyen commercial, technique ou contractuel ayant pour effet de rendre moins intéressante ou moins performante la version non liée. En particulier, elle ne devra pas subordonner les rabais qu'elle accorde aux équipementiers à leur achat de Windows conjointement avec le lecteur WMP.
La Commission estime que les mesures correctives, qu'elle juge proportionnées, mettront un terme aux infractions à la réglementation sur les ententes et abus de position dominante et poseront des principes clairs quant au comportement que l'entreprise devra adopter à l'avenir.
Pour que la décision soit mise en œuvre de manière efficace et dans les délais prescrits, la Commission désignera un mandataire qui aura pour mission, entre autres, de vérifier que les divulgations de Microsoft concernant les interfaces sont complètes et précises et que les deux versions de Windows sont équivalentes sous l'angle de leurs performances.
L'enquête
En décembre 1998, l'entreprise américaine Sun Microsystems s'est plainte du refus de Microsoft de lui communiquer les informations sur les interfaces dont elle avait besoin pour concevoir des produits capables de dialoguer correctement avec Windows, et dès lors être à même d'opposer une concurrence à armes égales sur le marché des systèmes d'exploitation pour serveurs de groupe de travail.
L'enquête de la Commission a révélé que Sun n'était pas la seule entreprise à laquelle ces informations avaient été refusées et que ces refus de divulguer des informations nécessaires à l'interopérabilité s'inscrivaient dans une stratégie plus large, conçue pour évincer les concurrents du marché.
Microsoft pouvait ainsi reléguer au second plan la concurrence sur d'autres caractéristiques, comme la fiabilité, la sécurité ou la vitesse, et être sûre de réussir sur le marché. Une écrasante majorité de clients interrogés par la Commission ont confirmé que l'avantage en termes d'interopérabilité avec Windows que Microsoft assure à ses propres produits en refusant ces informations à ses concurrents orientait leur choix vers les produits pour serveurs de cette entreprise. Les résultats d'enquêtes communiqués par Microsoft ont confirmé l'existence d'un lien de causalité entre l'avantage que l'entreprise se réservait sur le plan de l'interopérabilité et la progression de ses parts de marché.
En 2000, la Commission a, de sa propre initiative, étendu son enquête aux effets des ventes liées du lecteur WMP de Microsoft avec le système d'exploitation pour PC Windows 2000.
Cette partie de l'enquête a débouché sur la conclusion que l'omniprésence dont bénéficiait immédiatement le lecteur WMP du fait de sa vente liée avec le système d'exploitation pour PC Windows réduisait artificiellement les incitations des créateurs de contenus musicaux, cinématographiques et autres sociétés multimédias, ainsi que celles des concepteurs de logiciels et des fournisseurs de contenus, à concevoir des produits pour les lecteurs multimédias concurrents.
La vente liée, par Microsoft, de son lecteur multimédia a par conséquent pour effet de faire obstacle aux concurrents et, dès lors, de réduire le choix offert au consommateur en désavantageant les produits concurrents, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec leur prix ou leur qualité.
Les données disponibles montrent déjà une nette tendance en faveur du lecteur WMP et des technologies Windows Media. Sans l'intervention de la Commission, la vente liée du lecteur WMP avec Windows risque de faire définitivement «basculer» le marché en faveur de Microsoft. L'entreprise pourrait alors contrôler les marchés connexes du secteur des médias numériques, comme ceux des techniques de codage, des logiciels de diffusion de contenus musicaux sur l'internet, de la gestion des droits numériques (DRM), etc.
Plus généralement, la Commission craint que la vente liée, par Microsoft, de son lecteur WMP ne soit un exemple de modèle économique de rentabilité plus général qui, étant donné le quasi-monopole que cette entreprise possède sur les systèmes d'exploitation pour PC, décourage l'innovation et limite le choix offert au consommateur dans les technologies auxquelles il n'est pas exclu que Microsoft puisse s'intéresser et dont elle pourrait lier la vente, à l'avenir, à son système Windows.
Note
La Commission européenne veille à l'application des règles de concurrence communautaires sur les ententes et abus de monopole dans l'ensemble de l'UE lorsque le commerce entre États membres et la concurrence s'en trouvent affectés.
Elle a le pouvoir d'imposer aux entreprises des changements de comportement et d'infliger des amendes pour infraction aux règles sur les ententes et abus de position dominante, dont le montant peut atteindre 10 % du chiffre d'affaires annuel réalisé par les entreprises concernées au niveau mondial.
Les décisions de la Commission sont susceptibles de recours devant le Tribunal de première instance à Luxembourg.
(1) Il s'agit de systèmes d'exploitation tournant sur des réseaux informatiques centraux qui fournissent, dans le monde entier, des services aux personnels de bureau dans leur travail quotidien, comme le partage de fichiers ou d'imprimantes, ou encore la gestion de la sécurité et de l'identité des utilisateurs.
(2) Un lecteur multimédia est un produit logiciel capable de lire des contenus audio et vidéo sur l'internet.
(3) Les interfaces ne constituent pas l'ensemble du code source Windows, qui n'est pas nécessaire au développement de produits interopérables. Les interfaces sont les points d'accès au code source grâce auxquels les produits peuvent dialoguer entre eux.
(4) La communication des griefs marque l'ouverture officielle d'une procédure, puisque la Commission y énonce les griefs qu'elle a retenus contre une ou plusieurs entreprises concernées.
(5) Les systèmes d'exploitation de Microsoft équipent plus de 95 % des PC à l'échelle mondiale.
(6) L'Union européenne plus la Norvège, l'Islande et le Liechtenstein.